Parfois le mensonge explique mieux que la vérité ce qui se passe dans l'âme.
Il faut être né dans une société policée pour avoir la patience d'y vivre toute sa vie et n'avoir jamais le désir de quitter cette sphère de conventions pénibles, de petits mensonges vénéneux consacrés par l'usage, d'ambitions maladives, d'étroit sectarisme, de diverses formes d'insincérité, en un mot ,de toute cette vanité des vanités qui gèle le coeur , corrompt l'esprit et qu'on appelle avec si peu de raison la civilisation.
Je suis né et j'ai été élevé en dehors de cette société et, pour cette raison qui m'est précieuse, je ne puis accepter sa culture par fortes doses sans bientôt éprouver la nécessité de sortir de ce cadre et de me reposer des complications multiples, des raffinements maladifs de ce genre d'existence.
(Konovalov)
La poussière qui monte du port ternit la
limpidité du ciel. Le soleil, flamboyant sur
la mer glauque, semble voilé d'une gaze lé-
gère. Son reflet arrive comme brisé sur les
flots, dont la surface est sans cesse troublée
par les coups de rames, par le remous des
hélices des navires à vapeur, par l'étrave des
felouques turques ou des voiliers, sillon-
nant, sans relâche, l'étroit bassin. Captives
entre les granits de la côte, écrases par les
charges qu'elles supportent, les vagues dont
la crête écumante est souillée d'impuretés,
déferlent contre les vaisseaux et les quais.
On dirait qu'elles murmurent et se battent
entre elles…
Une harmonie puissante, mère du travail
universel, emplit les airs, une harmonie faite
du grincement des chaînes, du roulement
des wagonnets chargés de marchandises, de
la chute gémissante des lames de fer sur les
pavés, du sifflet aigu ou grave des navires
à vapeur, des appels des débardeurs, des
marins et des douaniers. Cette clameur se
prolonge, semble s'attarder dans le ciel,
comme prise de la peur de disparaître en
s'élevant.
Inlassablement, la terre exhale de nou-
veaux bruits, toujours les mêmes, des gron-
dements sourds qui ébranlent le sol, des
sifflets stridents qui vibrent dans l'air brû-
lant, alourdi de poussières.
De tout cela, pierre, métal, bois, des vais-
seaux et des hommes, monte un cantique
ardent, éperdu vers la divinité de l'Argent.
pp. 9-10.
.Vois-tu, quelquefois l'ennui me prend. Un tel ennui mon ami, un tel ennui que je ne puis plus vivre, absolument plus. [...] Alors quand cet ennui m'a pris, je lui dis, à elle" : "Vera Mikhaïlovna, laisse-moi partir, je ne puis plus! " [...]
Et [... ] je l'ai quittée... à cause de l'ennui! Quelque chose me traîne je ne sais où!
[…] Et
soudain, il se senti dévoyé, déchu, lamen-
table et seul, sans famille et banni à jamais
du milieu auquel il devait le sang qui cou-
lait dans ses veines.
p. 71.
[…] Le souvenir,
ce tortionnaire des malheureux, rend la vie
aux choses inertes elles-mêmes et mêle des
gouttes de miel au poison jadis absorbé afin
que l'homme qui se souvient n'ait plus que
la mémoire de ses fautes et cessant de nour-
rir toute espérance en l'avenir se désole
dans l'amour exclusif et stérile du passé […]
p. 71.
La sagesse de la vie est toujours plus profonde que la sagesse des hommes.