Citations sur Un intérêt particulier pour les morts (55)
Telle une vieille dame desserrant son corset, la locomotive émit un long soupir, puis elle enveloppa tout et tout le monde dans un linceul de vapeur et de fumée. La nuée tourbillonna autour du quai et monta jusqu'au plafond de la gare où elle resta piégée. L'odeur de soufre me ramena à mon enfance, dans la cuisine de Mary Newling un matin où j'étais chargée d'écaler des œufs durs.
Le brouillard se refermait sur moi, m'enveloppait aussi sûrement qu'un nouveau-né. Et comme un nouveau-né, je regardais le monde avec étonnement, incapable de différencier le nord du sud et l'est de l'ouest, et tout juste le haut du bas. Etais-je en train de monter une légère pente ? Descendais-je une ruelle ? J'avais cru me trouver dans une rue parallèle à Oxford Street ; peut-être étais-je en train de m'éloigner. Je n'entendais aucun bruit de circulation, le brouillard émoussait tous les sons.
Ben Ross
J'ai pour habitude, à la fin de chaque journée, de consigner par écrit mes observations concernant l'enquête en cours. Une sorte de journal intime, si l'on veut. Ceux de mes collègues qui ont découvert cette habitude se sont moqués de moi et m'ont traité de pédant. [...]
Cependant, je suis persuadé que, dans un avenir proche, tous les officiers de police enquêtant sur un crime feront de même.
"- C'est un petit garçon qui est mort, dis-je. Un tout petit garçon, n'est-ce pas papa ?
Mon père se tourna vers moi et je crois que c'est seulement à cet instant qu'il s'aperçut de ma présence.
- Oh, Lizzie…
Puis, secouant la tête :
- Oui, un tout petit enfant. Plus jeune que toi, je pense.
- Que faisait-il à la mine ? demandais-je. Il n'était tout de même pas assez grand pour extraire le charbon !
(…)
- N'oublie jamais ce que tu as vu aujourd'hui. Souviens-toi que cela représente le vrai prix du charbon."
Je vis un livre qui dépassait de sa poche et lui demandai ce qu'il lisait.
Il rougit, prit le livre et me le montra.
- Il s'agit du récit de Mr Darwin de son voyage sur le Beagle, quand il était jeune. C'est un livre que j'ai lu et relu.
Son ton devint nostalgique.
-C'est un petit garçon qui est mort, dis-je. Un tout petit garçon, n'est-ce pas, papa ?
Mon père se tourna vers moi et je crois que c'est seulement à cet instant qu'il s'aperçut de ma présence.
-Oh, Lizzie...
Puis secouant la tête :
-Oui, un tout petit enfant. Plus jeune que toi, je pense.
-Que faisait-il à la mine ? demandai-je. Il n'était tout de même pas assez grand pour extraire le charbon !
Le brouillard est une chose curieuse; il joue des tours à notre esprit.
Un tapotement sur ma main m'a toujours remplie d'appréhension. C'est généralement le préambule à de mauvaises nouvelles.
Le choléra avait rendu de fréquentes visites à Agar Town. Selon les journaux, le système d'égouts ingénieux inventé par Mr Bazalguette allait délivrer Londres de cette plaie, mais les mêmes journaux rapportaient de nombreux nouveaux cas dans l'East End en ce moment même.
De toute façon, il y avait d'autres fléaux : la typhoïde, la diphtérie, la consomption et ces maladies qui affectent seulement les pauvres et naissent de la détresse. Personne ne survit longtemps dans de telle conditions. Les hommes ont de la chance s'ils vivent jusqu'à quarante ans, les femmes souvent moins. Les enfants tombent comme des mouches et ceux qui survivent émergent de leur misérable logis malingres et pâles comme des spectres, adultes en miniatures dès l'âge de dix ans. Je connais ce genre d'endroit et je connaissais Agar Town. Quand un homme ou une femme meurt de faim et n'a rien à perdre, qu'est ce qui va l'empêcher de se tourner vers le crime ?
Le souper arriva, apporté par une Wilkins à l'air boudeur. Il était constitué d'une tourte au poisson et de gâteau de riz. A l'évidence, des restes réchauffés du dîner que les domestiques avaient pris un peu plus tôt. Je doutais qu'on ait servi de la tourte de poisson à la maîtresse de maison. Même si Tante Parry me traitait bien, en bas, on connaissait mon vrai statut.