Vous avez toujours été indépendante, Vidal. Ce n'est pas une mauvaise chose. Acceptez-le. On n'est pas tous obligés d'être sociables.
S'il a bien compris, l'amour n'est pas une transaction mais une chose librement consentie. Le plaisir, c'est de l'offrir.
Voilà ce que la cupidité fait des humains, songe Abel. Par sa faute, ils ignorent l'amour qu'ils ont pour soupirer après ce qu'ils ne pourront jamais obtenir.
Tu dois juste être patiente. Bientôt, ils t'apprécieront tout autant qu'avant.
Ça ne devrait pas être bien difficile. Personne ne l'appréciait beaucoup à la base.
Car la liberté de choisir, c'est aussi la liberté d'échouer.
On pourrait croire qu'éprouver davantage d'émotions donnerait davantage de choses à dire. Mais Abel se rend compte que ça ne fonctionne pas ainsi. les émotions ne pas font pas queue sagement; elles se bousculent pour passer toutes en même temps. Elles se brouillent tels des mots écrits à l'entre l'un par-dessus l'autre jusqu'à ce que plus aucun d'eux ne soit lisible, ne laissant qu'une tache sombre qui contient tout et n'exprime rien.
Vidal, reprend Akide, tu as grandi sur une planète en guerre. Tu as su dès ton plus jeune âge que la victoire était improbable, et que tu perdrais probablement la vie dans la bataille. Tu ne t'es jamais dérobée à ton devoir, même quand tu as dû envisager le sacrifice ultime, mais je ne crois pas que tu aies vraiment accepté la défaite comme l'issue la plus plausible de la guerre de la Liberté. Je sais que c'est dur - mais, dans ton propre intérêt, tu dois essayer. Sans ça, la douleur... (il incline la tête) te brisera.
Toujours le sacrifice. Toujours le devoir. Toujours la résignation. Pour une planète en guerre, songe parfois Noémi, Génésis semble avoir curieusement oublié sa combativité.
Il se remet à penser à Noémi. Elle lui manque tant ! Pourquoi la douleur est-elle toujours aussi vive, comme s'ils venaient juste de se quitter ? Combien de temps faudra-t-il pour qu'elle s'estompe ? Les humains parlent de "tourner la page" d'une façon suggérant que ce processus commence au bout de quelques semaines, voire quelques jours. Cinq mois après le départ de Noémi, chaque jour, Abel doit encore se forcer consciemment à penser à autre chose.
Peut-être l'amour humain est-il différent. Peut-être est-il faible, aussi fluctuant que la météo, aussi éphémère qu'une brise.
Mais pas celui d'Abel.
Abel se demande si Burton Mansfield a jamais eu des amis capables de lui rester fidèles malgré le danger sans espérer en retirer une quelconque récompense. Peut-être pas. Peut-être que c'est l'une des raisons pour lesquelles il a conçu Abel et a implanté la prime directive si profondément dans son cerveau. Il a choisi de programmer l'amour plutôt que de le mériter.
- Qu'allez vous faire à présent ?
Pour la première fois de sa vie, Noémi a le choix - des dizaines de possibilités s'offrent à elle. Elle devrait être ivre de soulagement. Au lieu de ça, elle est terrifiée.
- Je n'en sais rien, murmure-t-elle. Je n'en ai aucune idée. Car la liberté de choisir, c'est aussi la liberté d'échouer.