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Citations sur L'image fantôme (7)

IDENTIFICATION
M'énervent au plus haut point les photos pelliculées qui recouvrent les romans, et qui montrent les protagonistes de l'adaptation cinématographique du livre : Gérard Philippe est l'exemple le plus exécré, parce que le plus innombrable, le plus répété, celui qui semble prêter le mieux son visage à l'image du héros. J'ai envie de lire L'idiot, J'ai envie de lire Le rouge et le noir, mais je n'ai pas envie que ce visage (qui m'est pourtant sympathique) sans cesse me rappelle à lui, chaque fois que je prendrai le livre, en me disant : "Le prince Mychkine, Julien Sorel, c'est moi, ne l'oublie pas", alors que je suis enclin (et c'est là un des plaisirs les plus forts de ma lecture) à constituer lentement leurs images, à partir des propositions successives de Dostoïevski et de Stendhal. Le prince Mychkine et Julien Sorel, c'est qui je veux, et il se pourrait, à certains moments, que je veuille que ce soit moi, alors je découpe la couverture du livre, ou je la recouvre, au risque de la défigurer, d'un papier neutre et opaque, sur lequel, mentalement, je vais redessiner un visage, ou attendre qu'il apparaisse de lui-même, comme au sortir d'un bain révélateur.
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Cette projection a donné lieu à une révision nostalgique; {...}. En relevant des phrases de-ci de-là qui échappaient au babillage descriptif, j'ai pu me rendre compte à quel point ce discours était angoissé et porteur de mort. J'en retranscris ici quelques-unes, dans l'ordre :
- Il s'est suicidé Robert ...
- Il a eu les jambes coupées Edouard .....
- Il y a beaucoup de gens morts là-dedans...
- André, regarde ce qu'il a changé ...
- Renée est devenue toute rondouillarde...
- Il faisait froid, j'étais glacée, regarde comme j'étais coiffée...
- La tonnelle a été complètement retirée parce qu'elle pourrissait ...
- Tu vois, ça serait mieux en couleur. Il y a des fleurs, il y aurait l'herbe verte....
- C'est là qu'elle a eu son accident, qu'elle est tombée sur le front ...
- Ce que j'étais mince, pas de ventre, ah dis donc...
- Je me demande si les films ne doivent pas vieillir. C'était beaucoup plus clair que ça ...
- Il est tombé à l'eau et il est mort. On l'a retrouvé à l'écluse...
- Forcément la tomate, si c'était en couleur, on verrait que c'est une tomate...
- C'est certainement la Vierge à l'Orteil qu'on regarde...
- Là, Suzanne avait une douleur exquise ...
- C'est peut-être la dernière fois qu'on voit ces films...
- La poupée est restée toute nue toute sa vie...
- Nous nous sommes baignés. L'eau était chaude...
- Et on dirait que c'était hier tout ça, alors que c'était il y a vingt, trente ans ...
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Alors les photos de famille restent là, dans leurs petits cercueils de carton, et on peut les oublier, elles sont comme des croix plantées, elles appellent le plaisir mélancolique. Quand on ouvre le carton, aussitôt c'est la mort qui saute aux yeux, et c'est la vie, toutes les deux nouées et enlacées, elles se recouvrent et elles se masquent.
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Mais les photos que je trouve bonnes, moi, sont toujours les photos loupées, floues ou mal cadrées, prises par les enfants, et qui rejoignent ainsi, malgré elles, le code vicié d'une esthétique photographique décalée du réel.
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Une chambre d'hôtel qui n'est pas photographiable (où l'on n'a envie de prendre aucune photo) est déjà une mauvaise chambre. Quand on arrive dans une ville, la première chose est de photographier sa chambre, comme pour marquer son territoire, photographier son reflet dans les miroirs, comme pour marquer son appartenance provisoire, comme pour amortir son prix, comme un premier certificat de présence. Ou alors on occupe la chambre, aussitôt, en y faisant l'amour.
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Parmi cette masse de photos, je cherche des traces plus énigmatiques. Les dédicaces au dos des photos sont souvent banales, elles se contentent de marquer un lieu et une date (Cambrai, le 14 juin 1958), l'âge de l'enfant (Claude, 4 mois, puis Claude 4 mois 1/2), une situation géographique (« Au sommet du Brédent 2 550 mètres Mimi »), ou un lien familial (« En souvenir de Gisèle à sa chère sœur Jeannine avec ses baisers »). Et puis d'un seul coup deux dédicaces faites au stylo par ma mère me touchent parce qu'elles marquent la mort : « Décédé à 37 ans le 20 juin 1938 » au dos de la photo de son père Théo, mort noyé dans sa voiture ; « Décédée à 18 ans le 25 janvier 1950 » au dos de la photo de sa cousine Odette, morte à bicyclette. Ces dédicaces sont posthumes, et elles marquent la mort prématurée (aucune dédicace du même ordre n'a été faite sur des photos de gens morts de leur belle mort), la mort entachée de fatalité, comme si la mort tragique était la destinée de cette famille.
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Nous les haïssons au point au point de vouloir les torturer, de vouloir laisser brûler la pellicule trop longtemps devant la lampe, en image fixe afin de nous en rassasier avidement tout en la disloquant, nous les haïssons au point de vouloir les défigurer, les mutiler, les rayer à la pointe d'une aiguille à même le film, pour qu'ils ne nous narguent plus, ces vilains mirages, ces trop beaux mirages. Car sans cesse tu me trompes avec elle et je te trompe avec lui ; je me trompe avec lui et tu te trompe avec moi. Le souvenir ne se raye pas si facilement.

L'appareil photo est bien un petit corps autonome, avec son diaphragme, ses temps d'ouverture et de rétractation, son boîtier comme une carcasse, mais il est un corps mutilé, on doit le porter sur soi comme un enfant, il est lourd, il se fait remarquer, on l'aime aussi comme un enfant infirme qui ne marchera jamais seul mais à qui son infirmité fait voir le monde avec une acuité un peu folle.


On raconte que, pour rendre quelqu'un de rétif amoureux de soi, il suffit de laisser pourrir à son insu, sous son lit, une pomme verte dans laquelle on a planté des clous de girofle. La photo est une semblable manipulation, comme un sort que je te jetterais : en prenant ta photo je te lie à moi si je te veux , je te fais entrer dans ma vie, je t'assimile un peu, et tu n'y peux rien.
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