Beaucoup d'artistes n'occupent pas dans l'histoire du dessin la même place que dans l'histoire de la peinture ou de la sculpture. Pour certains, le changement n'est qu'apparent et tient surtout à la perte d'une partie de leur oeuvre dessiné ou de leur oeuvre peint. Pour d'autres, il est réel. Des dessinateurs excellents sont parfois des peintres médiocres et réciproquement. Quelques-uns doivent au temps même où ils ont vécu, de tenir un meilleur rang dans l'histoire du dessin que dans celle de la peinture. C'est pour ces deux raisons à la fois qu'Antoine Coypel occupe une place éminente dans l'histoire du dessin français; ses croquis sont très supérieurs à ses tableaux; il travaille au temps de la grande lutte des coloristes et des dessinateurs. C'est aussi un précurseur de Watteau; il peut, dans une certaine mesure, nous renseigner, non pas sur le génie du maître, mais sur sa formation qui a paru longtemps mystérieuse.
Depuis sa jeunesse, Antoine Coypel était un client de la famille d'Orléans. En 1688, c'est-à-dire à 27 ans, il était Premier Peintre de Monsieur. Le Brun et Mignard — encore vivants — lui barraient la route des honneurs suprêmes. Il se ménageait auprès du duc d'Orléans un très bon poste d'attente qui lui valait des commandes, des pensions et même une apparence d'autorité. Monsieur n'était d'ailleurs pas un maître magnifique et il laissait languir l'artiste sans trop l'employer. Son fils, au contraire, le duc de Chartres, le futur Régent, portait à Coypel une très vive amitié. Il avait un grand goût pour les arts, il les pratiquait lui-même sans maladresse, et un des rêves de son cerveau actif jusqu'à l'agitation était de laisser le renom d'un Mécène.
On ne s'étonnera donc pas de trouver chez l'artiste un dessin différent de celui de Le Brun. Chez Le Brun et ses contemporains, l'éducation et la technique sont tellement semblables qu'il n'est pas possible, le plus souvent, de distinguer la main du maître de celle d'un élève. On peut s'en rendre compte au Louvre. Nous savons, par l'inventaire dressé au moment de la mort de l'artiste, que, parmi les dessins retenus pour le roi, beaucoup étaient exécutés par des disciples; mais, comme le commissaire chargé de l'inventaire a négligé de les désigner, il n'est plus guère possible de les reconnaître, tant ces milliers de feuilles grises, couvertes de croquis corrects, se ressemblent.
L'oeuvre dessiné d'Antoine Coypel au musée du Louvre se compose de 280 pièces dont nous avons rapproché 84 copies, exactes, minutieuses et froides, exécutées on ne sait à quelle occasion, on ne sait par qui, mais vraisemblablement par un même artiste, dans un même but. Ces 280 dessins ne constituent certainement pas tout l'oeuvre dessiné de Coypel. Certaines suites qui nous sont parvenues assez complètes, nous montrent avec quel soin l'artiste préparait ses œuvres définitives par des esquisses et des croquis très poussés. Il est vraisemblable qu'il agissait toujours ainsi et qu'une partie de ses études ont disparu dans des circonstances que nous ne pouvons déterminer.
L'autorité de Charles Le Brun ne s'était jamais imposée plus fortement. Le fondement de l'enseignement, d'après le Premier Peintre, était l'étude de l'antique, ou, à son défaut, l'étude des maîtres de la Renaissance italienne qui ont imaginé l'interprétation la plus parfaite des anciens. Pour être un bon peintre il n'est pas indispensable d'avoir du talent; avant tout il faut savoir. On réalise la plus grande perfection en empruntant à chaque maître ses qualités dominantes, comme disaient déjà les Bolonais. Cette pédagogie étroite implique une conséquence : le dessin, qui s'enseigne—tandis que la peinture ne s'enseigne pas —constitue l'opération essentielle de l'art.