Ce n’était pas un monde. Ce n’était pas l’humanité.
« Je n’avais jamais été là-bas, dit-il. Les statistiques, c’est une chose… Des centaines de milliers de Polonais aussi avaient été tués, de Russes, de Serbes, de Grecs, nous savions cela. C’était statistique ! » Qui savait ? Et jusqu’où ? « On » savait - mais qui est ce « on » ? Jan Karski « savait » sans savoir - c’est-à-dire qu’il ne savait rien. Car sans doute ne sait-on rien tant qu’on n’a pas vu.
Je n'existais plus, je n'étais qu'une ombre de plus en plus exaltée, qui chaque jour tentait de convaincre d'autres ombres, qu'un pays s'éteignait, là-bas, quelque part entre l'Allemagne et la Russie, et que dans ce pays, des hommes et des femmes résistaient héroïquement pour ne pas devenir des ombres.
Car le silence est un désert, mais c'est un désert qui vous rafraîchit - qui vous rénove.
Et puis le silence. J'ai pensé d'abord que ce silence allait m'abriter. Mais lorsqu'on ne parle plus, on est à chaque instant en première ligne. On ressent violemment la moindre émotion, il n'y a plus de filtre - on n'est plus qu'une émotion à vif. Et puis j'ai découvert que seul le silence est libre. Lorsqu'on fait voeu de se taire, on tranche les dernières attaches, on échappe à tout ce qui retient. Il y a quelque chose d'absolu dans le silence, une fierté qui m'a sauvé la vie. Car je me suis séparé alors des autres pour m'ouvrir à ce qui seul pouvait répondre à ma détresse.
Ce sera bientôt une honte de vivre, et d'appartenir à l'espèce humaine, si des mesures ne sont pas prises pour faire cesser le plus grand crime de l'histoire humaine.
J’ai parlé parce que j’ai pensé que ma parole redonnerait vie aux morts. Parler, c’est faire en sorte que tout ce qui est mort devienne vivant, c’est rallumer le feu à partir de la cendre.
Il se rend compte que, depuis Londres, la Pologne ne pèse pas lourd. Les intérêts en jeu sont si complexes, la machine de guerre et son économie si considérables que la situation polonaise passe au second plan. D'ailleurs, qui sont les Polonais ?
Des êtres humains qui n'ont plus l'air vivants et qui ne sont pas morts, qu'est-ce que c'est?
le monde entrait dans une époque où la destruction ne trouverait bientôt plus d'obstacle, parce que plus personne ne trouverait rentable de s'opposer à ce qui détruit. Ainsi la destruction suivrait-elle son cours, en se cachant de moins en moins, et sans plus rencontrer aucune limite; et il n'existerait plus rien de bon pour s'opposer à ce qui est mal, mais seulement du mal - partout.