Serge est un petit garçon heureux. En compagnie de sa tante préférée, la belle Bérénice, il va passer la journée au parc d'attractions de Bellewaerde. Parti de Bruxelles, le car, conduit la compagnie vers Ypres. Ça commence à faire long… Serge ponctue le voyage par ses fréquents "C'est encore loin ?", et se plonge dans ses pensées qu'il nous fait partager. Il y a les tracteurs qui le passionnent, la ferme, et toutes ces petites choses glanées dans le monde des adultes qu'il n'arrivent pas à comprendre.
En parallèle, en 1915, notre lecture nous mène également en direction d'Ypres ; province de Flandre-Occidentale. le caporal
Pierre Lambert du bataillon canadien se dirige en renfort avec ses hommes de la 1ère division vers un "sale coin". La région est pilonnée par une pluie d'obus. Explosions, secousses, les vibrations sont des lames de fond qui pénètrent les corps et déchirent les entrailles. Les lignes essaient de repousser l'armée allemande et les assauts sont les limbes de l'enfer. Corps éparpillés, tympans éclatés, épouvante.
Une page se tourne, le souffle est court, et on se retrouve avec Serge face aux pirates…
Cette animation est drôlement bien ! Mais ce qui le chagrine c'est de voir sa tante soucieuse. Manèges et spectacles perdent alors leurs attraits car la sensibilité de Serge le pousse à se montrer vigilant et protecteur envers elle. Qu'a-t-elle ?
Dans le parc du château,…
Serge rencontre un homme qui fait des trous avec une pelle. Peu farouche, il demande à ce jardinier ce qu'il fait. La réponse le laisse perplexe. Il n'est pas jardinier, il est en quête de quelque chose, un trésor peut-être… Il a un devoir à accomplir, et une promesse est une promesse.
"- Un trésor ?
D'abord étonné, il se met à rire.
- Un trésor ? Ma foi, ce n'est pas si bête, ce que tu dis là. Il y a de ça. Mais alors un trésor pas comme les autres."
Pierre épaule le fusil et les salves sont tirées. Il ne veut pas mourir. On l'appelle… "Caporal ! Caporal !"… Il faut rester en position, il hurle l'ordre… "Restez en position !"… Ils ont un trou rouge à leur vareuse, Ed, Johnnie et les autres.
Les deux récits se confondent et se répondent à Bellewaerde ; "
Les lieux communs". La mémoire n'a pas laissé que des traces dans les cimetières militaires. le charnier fut partout.
Le fil conducteur qui relie les deux histoires, entre passé et présent, fait le rapprochement des histoires d'amours malheureux de Pierre et Bérénice. de plus, j'ai imaginé que Pierre transmettait à Serge un relais virtuel. Juste quelques mots, un regard, c'est une alchimie étonnante, immatérielle. le parc, sa kermesse, les joies, tout ce décorum est une grimace à l'enfer des batailles menées en ces lieux.
Pour un enfant de huit ans, encore candide et heureux, Serge est intuitif et perçoit le malaise de sa tante et la méchanceté des adultes qui les accompagnent. Il retient également la gravité de cet homme qui fouille la terre à la recherche de "son trésor". Cette journée l'a grandi.
"Tu sais, ce qui compte, quand on fait une promesse…"
Il se lève, secoue les longs pans de son pardessus.
"C'est d'abord d'y croire… "
Deux boutons ont sauté, on voit les fils qui pendent. Il y a aussi une poche qui troue, celle de droite.
"Et ensuite, de tenir parole."
Triste, cruelle et belle histoire sur les souvenirs de la Première Guerre mondiale, l'auteur emploie pour son témoignage un style simple mais implacable. L'impact fait mouche, l'émotion étreint le coeur. Dans la haine de la guerre, il y a la fraternité des soldats, les promesses, les voeux, et toujours de l'espoir. Ces liens sont essentiels à leur survie.
Je vous recommande cette histoire dont la postface de Joseph Duhamel, qui analyse ces récits parallèles et
les lieux communs, est très intéressante. Il y a une forme d'effet miroir et une part de fantastique, ce qui expliquerait la présence encore vaillante de Pierre dans le temps de Serge. Serait-il un fantôme ?.
Cette édition est suivie de trois autres nouvelles, toutes sur le thème de la guerre.