L'histoire se passe à Manaus, dans le milieu plutôt nord-ouest du Brésil, entre les deux guerres. A cette époque là, Manaus n'est pas encore la 3e plus grande ville du pays telle qu'on l'imagine aujourd'hui. Il n'y a pas grand chose aux alentours, pas encore grand monde en comparaison des 3 millions d'habitants actuels. On y trouve quelques favelas plus ou moins pauvres et beaucoup de pêcheurs qui taquinent la poiscaille dans le Rio Negro.
Parmi les habitants de Manaus Harbour, il y a le narrateur, un jeune homme qui va nous raconter une partie de sa vie tout au long du livre, depuis son enfance jusqu'au début de l'âge adulte. Son nom n'est pas mentionné dans le roman, donc, on l'appellera Juni, en souvenir du joueur de foot Juninho et des belles années de l'Olympique Lyonnais avant qu'ils ne descendent en Ligue 2 à la fin de la saison 2023-2024.
Juni est le fils de Domingas, une orpheline indienne qui travaille comme domestique au service d'une famille dont le maître de maison se prénomme Halim. Juni vit donc avec elle dans une dépendance de la grande maison de leurs patrons. Il aide sa mère aux tâches domestiques et, pendant son temps libre, il se cultive, il lit des livres. C'est pas l1 moitié d'un idiot le petit Juni et Halim le sait bien. C'est pour ça qu'il l'encourage à étudier, parce qu'il l'aime bien, le p'tit Juni.
Halim et sa femme Zana sont des immigrés du Liban. Ils sont arrivés à Manaus entre les deux guerres et se sont installés pour y faire leur vie. Halim et Zana sont fous amoureux. Ils font l'amour goulument dans le hamac du jardin dès que l'envie leur prend. Tout semble aller bien dans le meilleur des mondes. La vraie chef de la maison, c'est Zana. Halim reste quand même un petit peu soumis à sa femme. Il y a des choses qui sont universelles qu'elles que soient les époques et les cultures. Halim a beau faire style "j'suis un homme", la vraie boss de la famille, c'est Zana.
De cet amour naîtra Yaqub et Omar, des jumeaux, ainsi que Rania, la petite soeur.
Yaqub et Omar ne peuvent pas se blairer. Ça remonte longtemps. Peut-être même dès le début, car Zana, leur mère a toujours eu une préférence pour Omar, qu'elle appelle le "petit dernier" parce qu'il est sorti en second. Techniquement, il n'a que quelques minutes d'écart avec Yaqub, mais ça fait toute la différence pour elle : Omar sera toujours son préféré et elle lui trouvera toujours des circonstances attenuantes. Cette tendance influencera forcément leur comportement puisque Yaqub sera perfectionniste, sérieux et renfermé alors que Omar sera un fêtard invétéré, toujours partant quand il s'agit de faire des sales coups. Ce petit dernier sort dans les bars du coin, picole comme un mort de soif et drague les petites brésiliennes... le reste du temps, il cuve son alcool affalé dans le fameux hamac des parents.
Mais, un jour, patatras ... c'est Yaqub qui embrassera Livia (une voisine plutôt mignonne sur laquelle Omar avait des vues), profitant de l'obscurité d'une séance de cinéma noir et blanc pour coller tendrement leurs lèvres les unes sur les autres.
Et ça, bah c'est pas trop du goût de Omar, qui ne trouvera rien de plus intelligent à faire que planter un tesson de bouteille dans la joue de Yaqub, juste en dessous de l'oeil. le petit dernier, touché dans son orgueil, n'a pas supporté que ce soit son frère qui gagne pour une fois. Livia a préféré Yaqub ! C'est totalement inacceptable ! Action ! Réaction ! Paf, un coup de tesson dans la joue.
Conséquence de cet acte : Halim et Zana décident d'envoyer Yaqub au Liban chez des amis de la famille. Pourquoi lui et pas Omar ? Halim n'a pas eu son mot à dire. C'était évident. Omar ne survivrait pas sans sa mère à ses côtés (ou l'inverse), donc c'est Yaqub qui quitte la maison. Pas plus compliqué que ça.
Quelques années plus tard, Yaqub reviendra vivre au Brésil mais pas à Manaus. Il travaillera à Sao Polo comme ingénieur architecte, un des plus réputés de la ville.
Il passera de temps en temps voir ses parents mais ça ne sera jamais vraiment de bon coeur. Chaque visite lui rappellera que sa mère restera toujours entichée de son frère Omar qui, de son côté, continuera à faire la samba, à picoler et à choper la gourgandine. Chaque visite sera l'occasion pour les
deux frères de se croiser et de se mettre dessus, au grand désespoir de Halim, qui ne sait plus quoi faire, et de Zana qui trouvera toujours un bon argument pour excuser son petit dernier.
Toute cette agitation, Juni l'observe, l'analyse comme un observateur privilégié. D'autant plus que, depuis toujours, Juni le sent. Sa mère lui cache quelque chose. Il ne sait pas qui est son père mais son petit doigt lui dit que c'est l'un des deux jumeaux. Il se dit que ça expliquerait pourquoi Domingas est toujours évasive quand il lui pose des questions sur son père. Ça expliquerait aussi pourquoi Halim est si compréhensif et généreux avec lui. Juni aurait bien une préférence entre les deux jumeaux mais il ne sait pas trop. Il observe les deux jumeaux pour détecter des signes. Mais rien n'y fait. Sa mère peine à lui parler de son père et un silence pesant d'omerta règne dans la petite communauté.
Est-ce que les jumeaux finiront par se rabibocher ? Est-ce que Zana finira par aimer Yaqub autant que Omar ? Est-ce que la cohésion familiale tiendra le coup face à ces déchirements internes ?
Est ce que Juni finira par découvrir qui est son père ?
C'est tout ça que ce jeune homme (sous la plume délicate de
Milton Hatoum) va nous raconter dans ce roman. Une histoire peu banale dans le Brésil du deuxième quart du XXe siècle.
On est loin des plages de Rio et des danseuses de carnaval aux fesses bronzées. C'est d'ailleurs tellement éloigné des images d'Épinal qu'on peut avoir sur ce pays, qu'il est parfois difficile en lisant d'imaginer que l'histoire se passe au pays du Christ Rédempteur et du roi Pelé.
Ça fait pas de mal de réinterroger ses propres stéréotypes parfois.