Les années Trianon

En septembre, la Cour s’était passionnée pour le premier vol d’un ballon conçu par monsieur de Montgolfier. Une foule de courtisans, de serviteurs s’était pressée sur la place d’armes où monsieur de Montgolfier lui-même surveillait les préparatifs de l’aérostat. Dans la nacelle, on avait placé un agneau, un coq, un canard qui, ignorant la périlleuse aventure qui les attendait, montraient le plus grand calme. À treize heures, le ballon étant prêt à prendre son envol, on avait largué les amarres et, au milieu des cris de stupéfaction et d’enthousiasme des spectateurs, l’aérostat s’était élevé dans les airs.

1783. Un rêve d’Amérique

Un Italien du nom de Cagliostro, qui se disait mage et que protégeait le cardinal de Rohan, venait de fonder une loge égyptienne qui prétendait pouvoir transmettre les secrets des pharaons. Il disait l’avenir et toutes les hôtesses des salons parisiens se le disputaient.

1783. Un rêve d’Amérique

À Paris, on s’était émerveillé de la fête donnée par madame Boutin dans son jardin de Tivoli, à Montmartre, et on se félicitait qu’Élisabeth Vigée-Lebrun ait été présentée à l’Académie royale de peinture et de sculpture, même si l’appui inconditionnel de la reine avait dû peser sur la décision des académiciens, réticents à envisager la candidature de la femme d’un marchand de tableaux.
En même temps que la célèbre portraitiste devait être accueillie mademoiselle Adélaïde Labille Guiard qui avait été, très jeune, la compagne, dans le magasin de mode que possédait son père, de la belle Jeanne Bécu, que l’on appelait alors mademoiselle Lange, la future madame du Barry.

1782. Le Mariage de Figaro

Avec impatience, on attendait à la Cour l’arrivée du tsarévitch Paul et de la grande-duchesse voyageant sous le nom de comte et comtesse du Nord. Nul n’ignorait que l’impératrice de Russie, Catherine II, se montrait dure envers un fils qu’elle n’aimait guère et que le jeune homme, face à cette antipathie maternelle, était devenu timide et dissimulé. Petit, les traits irréguliers, on le devinait cependant spirituel et prévenant.

1782 . Le Mariage de Figaro

Aussi vite qu’elle s’était arrêtée sur les Polastron, l’attention de tous volait maintenant vers Beaumarchais, un admirateur de Voltaire, poète et écrivain qui avait vendu des armes aux insurgés américains. Tout le monde voulait découvrir son Mariage de Figaro. Pressée par Vaudreuil, Marie-Antoinette avait enfin convaincu Louis d’accepter qu’on lui en fît la lecture. Après quelques pages, il avait froncé les sourcils avant de se lever et de quitter la pièce, laissant le lecteur bouche bée, son livre à la main. Beaumarchais, avait-il plus tard expliqué à la reine, était un de ces beaux esprits frondeurs qu’il ne supportait pas. Il souhaitait ne plus entendre parler de lui.

1782. Le Mariage de Figaro

En ce début d’hiver, les esprits avaient été occupés par un livre que venait de publier au Mercure de France monsieur Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses. MarieAntoinette se l’était fait lire au milieu de ses amis et l’ouvrage s’arrachait. Sur qui avait pris modèle cet officier d’artillerie, proche ami du duc de Chartres ? Ces libertins si bien croqués par Laclos pouvaient être maints gentilshommes de la Cour, ces femmes séduisantes et rouées abondaient autour des souverains. La recherche et la satisfaction du plaisir étaient des distractions fort répandues à Versailles.

1782. Le Mariage de Figaro

En cette fin de siècle, la curiosité scientifique était extrême et on osait sourire de ceux qui ne se référaient qu’à la Bible, seule interprète de la volonté de Dieu. Les astronomes scrutaient le ciel, les physiciens agrandissaient sans cesse le champ des connaissances en optique, en hydraulique, en mécanique. Le monde changeait à une vitesse vertigineuse.

1780. Que signifie le mot « liberté » ?

Tout autant que ses travaux de serrurerie, le roi aimait la géographie et possédait une exceptionnelle collection de cartes. Dès le début de la décennie, il avait suivi les expéditions du navigateur anglais au cœur du Pacifique, s’était passionné pour sa découverte d’un détroit séparant la péninsule de Bank de l’île Stewart et d’une île immense baptisée Botany Bay, en raison des nouvelles espèces découvertes par les botanistes Banks, Solander et Spöring. Cook avait rencontré des aborigènes hostiles qui avaient fui au premier coup de fusil.

1779. Du blanc, rien que du blanc

Axel de Fersen était en France avec l’espoir d’embarquer pour l’Amérique. L’affection que la reine lui portait gênait cet homme discret qui tenait les ragots en horreur. Mais il était évident que les deux jeunes gens éprouvaient de l’attirance l’un pour l’autre et cette entente jetait un malaise dans le Cercle enchanté. Tout en se déclarant le meilleur ami de l’autre, chacun s’épiait, s’observait, se jalousait. On avait déjà évincé Lauzun, le Suédois avait intérêt à garder de la retenue.

1778. Où est ce pays où les femmes se vêtent de velours et de soie ?

Lors de leur entretien enfin ménagé, Marie-Antoinette avait reçu sans broncher les coups que son frère lui portait. Croyaitelle que Dieu l’avait faite reine pour se consacrer à des plaisirs futiles, danser, dilapider de l’argent au pharaon, marivauder, souper, jouer à colin-maillard ? La Cour l’ennuyait ? Eh bien, elle devait souffrir ces désagréments, bien des reines l’avaient fait avant elle sans se plaindre. Savait-elle seulement ce que le mot « devoir » voulait dire ? Pensait-elle à son peuple, à son bonheur, sa prospérité ? Non, elle allait danser masquée à l’Opéra, s’enfermait à Trianon avec ses amis, une coterie ambitieuse et légère qui profitait d’elle. À ce point, MarieAntoinette avait interrompu son frère, elle avait besoin de ses amis ; sans eux, elle mourrait d’ennui et de chagrin. « Soyez donc mère, avait lancé l’empereur, donnez un dauphin à la France et vos jours, croyez-moi, seront fort occupés. » MarieAntoinette avait rougi, elle savait le moment venu de subir des questions sur sa vie conjugale. « Vous n’ignorez point mes difficultés, mon frère », avait-elle murmuré. Mais Joseph n’avait pas lâché prise. Au lit, elle était une nigaude, le roi un maladroit. Il parlerait à Louis d’homme à homme.

1777. Un souper à Bagatelle