AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastasia-B


Vous connaissez l'histoire de Crime et Châtiment, son formidable Raskolnikov, sa psychologie, pourquoi il tua la petite vieille, comment il la tua, les démons qui le taraudèrent et ce qu'il advint de lui plus tard, n'est-ce pas ? Ça vous a plu, hein, vous en voudriez encore, mais vous en avez soupé de la Russie et du XIXème siècle, vous voudriez autre chose, un truc un peu plus récent, un peu moins froid... Voyons, voyons...

Que diriez-vous de l'Italie ? Mettons dans les années 1950, ça vous irait ? Et si c'était seulement la partie « crime », disons, sans la partie « châtiment », ça vous irait encore ? Eh bien ne rêvez plus, Patricia Highsmith l'a fait.

Le Raskolnikov ne s'appelle plus Raskolnikov, évidemment, ça paraîtrait bizarre, surtout venant de New York, alors appelons-le simplement Monsieur Ripley, Tom pour les intimes.

Il pourrait vous apparaître surprenant que je vous assène une comparaison entre un auteur russe et cette auteure américaine ; eh bien je ne vais pas m'arrêter en si étrange chemin, je vais vous en livrer une deuxième. Il y a, selon moi, un peu de la mécanique narrative du Lolita de Vladimir Nabokov dans le Talentueux M. Ripley.

(Les deux romans sont d'ailleurs sortis la même année, en 1955, à deux mois d'intervalle, preuve que le procédé était dans l'air du temps. Sachant, au demeurant, que tant Highsmith que Nabokov ont vécu la majeure partie de leur vie hors de leur pays d'origine, notamment dans plusieurs pays d'Europe, et se sont l'une et l'autre finalement établis en Suisse.)

Ici, nous allons donc suivre un pauvre petit gars américain, orphelin suite au décès de ses parents dans un accident de voiture (ce qui était courant dans les années 1950), élevé par une tante de Boston pas plus aimante que ça, condamné à faire mille petits boulots pour gagner mal sa vie sur New York maintenant qu'il est jeune adulte.

En gros, l'auteure nous apitoie sur le sort de Tom Ripley, nous le rend familier, voire attachant, exactement comme Dostoïevski nous liait à Raskolnikov ou Nabokov à son Humbert Humbert. L'idée sous-jacente étant que, tout criminel, avant d'être un criminel est d'abord et avant tout un être humain, ayant des sentiments, ayant connu des joies, des peines, ayant certaines valeurs morales, pas toutes compatibles avec la morale standard, bien entendu, mais une forme de morale tout de même.

Un tueur, un voleur, un violeur, un pédophile, un escroc, un proxénète, que sais-je, ce n'est pas nécessairement un monstre à tous égards, une bête écumante, effrayante dès le premier regard. Comme l'écrit Céline dans le passage sur Alcide du Voyage au bout de la nuit : « Ça serait pourtant pas si mal s'il y avait quelque chose pour distinguer les bons des méchants. »

Tom Ripley a des pulsions en lui, mais pas le genre de pulsion que vous pourriez supposer, non, plutôt des pulsions à vouloir s'élever socialement, à fréquenter un certain monde, un peu artiste, un peu dandy, un peu bourgeois-bohème, vous voyez, ce genre de chose. Mais il n'est que Tom Ripley, un jeune gars qui tire le diable par la queue, et ce n'est pas avec ce qu'il grapille à droite à gauche qu'il aura sous peu l'occasion de voyager, de se cultiver, ni de rencontrer les gens qu'il aimerait fréquenter...

Il est malin pourtant le Tom, il a même imaginé une sorte de magouille qui pourrait fonctionner. Il la teste, juste comme ça, pour voir, sans en tirer profit, juste pour voir, vous dis-je. Jusqu'au jour où la providence lui fait croiser la route de Herbert Greenleaf, le père de Richard, un ancien camarade d'université.

Le père semble désespéré, car son fiston s'est exilé dans le sud de l'Italie, avec des velléités d'artiste peintre de quatorzième zone, quand lui possède une grosse entreprise de construction maritime, dont il aimerait bien que Richard, alias Dick ou Dickie reprenne la direction à sa suite (les diminutifs anglo-saxons m'ont toujours paru bizarres, pénibles, ennuyeux et inutiles, mais celui-ci plus que tous, talonné de près par Bob, Chuck ou Nancy).

Herbert Greenleaf propose donc à Tom, en sa qualité d'ancien camarade, de bien vouloir se rendre à Mongibello, village de pêcheurs situé non loin de Naples, où Dickie coule des jours heureux en compagnie de Marge (diminutifs de mes rêves, comme je vous adore !) Sherwood, dont Richard Greenleaf est plus ou moins amoureux, mais pas follement épris, le tout dans le but d'essayer de le persuader de bien vouloir revenir au bercail pour s'informer des subtilités de la construction navale.

Mission, en soi, hautement foireuse, sachant que si ledit Dickie avait souhaité rentrer, cela ferait longtemps que ce serait fait, et si tel n'est pas le cas, ça n'est probablement pas une vague connaissance de l'université qui pourrait l'en persuader. Tom sent cela à trois kilomètres, mais le vieux accepte de prendre tous les frais à sa charge, et même de lui fournir un petit pécule, lui permettant de se maintenir à flot en Italie suffisamment de temps pour venir à bout de l'entreprise.

C'est tentant, pour un Tom Ripley, n'est-ce pas ? Quitter une situation sans issue et des relations pas folichonnes à New York pour aller s'offrir quelque bon temps en Italie aux frais de la princesse (qui est ici un vieux prince, mais l'idée y est), est-ce que sincèrement ça se refuse ? En plus, ils sont tout mignons les vieux parents du Dickie, aimants, attentionnés vis-à-vis de leur rejeton, tels que lui n'a jamais connu cela, avec sa tante acariâtre et radine.

Donc, voici Tom parti pour l'Italie ; il fait ce qu'il faut pour se faire bien voir de Richard, lequel ne se souvenait même plus de lui. Il fait ça tant et si bien, ce talentueux M. Ripley, que les deux jeunes hommes deviennent bientôt inséparables. Ce n'est pas forcément du goût de Marge, bien entendu, mais elle sait qu'il est toujours un peu comme cela, Richard, il s'entiche d'une personne au début, puis, ça lui passe, il se reportera sur une autre par la suite...

Et c'est précisément au moment où Tom sent que ses liens avec Richard commencent à se distendre qu'il commence à paniquer. En effet, si plus de liens avec Richard, alors plus de financement, alors plus de contact avec les relations intéressantes de celui-ci, alors fini la belle vie, les costards, les cocktails et les montres qui scintillent...

Eh oui, ça sent le pourri cette affaire-là, et l'odeur du pourri, pour Tom, ça signifie retour illico à la case départ. Alors comment faire ? Et si, par un tour de passe-passe dont il aurait le secret, il devenait lui-même Dickie Greenleaf ? Bon, c'est risqué, je vous l'accorde, ça va peut-être lui demander de commettre deux ou trois petits impairs, voire un peu plus, mais...

Eh oui, c'est tout le roman ce « mais » : qu'y aura-t-il derrière ce « mais », qu'impliquera le premier geste du « mais » s'il intervient, et est-ce que les « mais » ne sont pas comme ces insectes volants quand on allume une lumière la nuit : sitôt que vous avez touché l'interrupteur, ils arrivent, un, puis deux, puis dix, puis des centaines... Et des centaines de « mais », qu'est-ce que ça peut donner ?

Voilà précisément ce que je m'en voudrais de vous dévoiler. Peut-être me reste-t-il encore à vous dire que j'ai bien aimé cette façon de mener son roman qu'a Patricia Highsmith, pas adoré mais franchement bien aimé. Ce que j'ai apprécié surtout, c'est l'absence de propos moralisant, pas de bons, pas de méchants, pas de « bien fait, il l'avait bien mérité », vous voyez, ces genres de farines, qui me rendent les romans parfois insupportables sur le finale, quand l'auteur cherche à toute force à vous faire entendre ce qu'il convient de penser de ses personnages.

Là non, vous êtes entièrement libres de pensez ce que vous voulez de la succession d'événements relatés dans cet ouvrage, et c'est probablement ce que j'aime le mieux en littérature : ma liberté de penser, ma liberté d'interpréter, ma liberté de choisir du côté de quel personnage je veux me mettre, bref, ma liberté.

J'en termine en signalant qu'il y a des différences, pas essentielles mais substantielles, entre le livre et l'adaptation éponyme de 1999 qui en fut faite au cinéma avec Matt Damon et Jude Law dans les rôles principaux. Personnellement, je n'ai pas encore vu le film Plein Soleil avec Alain Delon, qui lui aussi en est une adaptation. Pour le reste, ce que j'en pense ou dit, ça n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          1627



Ont apprécié cette critique (160)voir plus




{* *}