Sabra Zoo

Le titre de l'ouvrage mémorable de Mischa Hiller "Sabra Zoo" n'a rien à voir avec un jardin zoologique ni avec le mot hébreu "sabra" , désignant tout Juif né en Palestine ou Israël. Il se réfère aux massacres dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth, en septembre 1982. Un épisode sanglant dans la guerre du Liban, menée par Israël, qui a coûté la vie à quelque 800 pauvres victimes palestiniennes. Les auteurs de ce carnage furent des miliciens d'une faction des forces libanaises du Parti chrétien des Phalanges, sous le commandement d'Elie Hobeika.
Une revanche pour l'assassinat du Premier ministre Bachir Gemayel, victime d'une bombe plantée par Habib Tanous Chartouni du Parti social nationaliste syrien, le même mois de septembre 1982 et sa mort à l'âge de 34 ans ?

La commission d'enquête israélienne, sous la conduite du juge suprême Yitzhak Kahane, conclut à la responsabilité indirecte de l'armée israélienne, qui sous le commandement d'Ariel Sharon (1928-2014), aurait pu et dû éviter ce carnage dans les camps. L'affreux Sharon a été obligé de démissionner comme ministre de la défense en 1983, pour revenir 18 ans plus tard comme... Premier ministre ! Je sais bien qu'il soit mort après 8 ans de coma, à la suite d'une attaque cérébrale, mais n'empêche que ce cynique personnage m'a toujours écoeuré, comme président du Parti Likoud de droite et ensuite du Parti Kadima (= En Avant !) et favorable à l'implantation des colonies israéliennes en Cisjordanie et Gaza !

Il est vrai aussi qu'un mois avant ce bain de sang, avait eu lieu l'évacuation de l'OLP (l'organisation de libération de la Palestine) de Yasser Arafat de Beyrouth vers la Tunisie et que les opérations militaires de l'OLP contre Israël, entre autres à Jérusalem et aux hauteurs Golan, avaient déclenché l'invasion du Liban par Israël, l'opération appelée "Paix en Galilée" en août 1982.

L'Assemblée Générale de l'ONU, en décembre 1982, a condamné cet acte barbare à une très large majorité (123 pour, 0 contre et 22 abstentions) le condamnant de génocidaire, bien que ce terme ait été contesté.

Je m'excuse que ce rappel historique soit un peu long, mais je crois que comme arrière-fond du roman, il peut s'avérer utile. de même que pour l'oeuvre de Sorj Chalandon "Le quatrième mur", qui a obtenu le Prix Goncourt des lycéens, en 2013, et qui raconte également le bain de sang des camps de Sabra et Chatila.
Je dois avouer cependant qu'une dizaine d'années avant, j'avais visité le camp de Sabra, guidé par un chauffeur de taxi libanais anti-Phalange, et que cela explique aussi la raison que j'ai suivie ces événements avec beaucoup d'attention. Souvenir pittoresque néanmoins : plusieurs fois, j'ai eu à écouter en détail le récit de l'heure de gloire d'Arif, lorsqu'il avait été le chauffeur de Mireille Darc (décédée l'an dernier) à l'occasion du tournage du film "La Grande Sauterelle" par Georges Lautner, 5 ans plus tôt. le camp, avec ses ruelles pleines de gens visiblement pauvres et désemparés, ainsi que ses bâtiments délabrés, était évidemment nettement moins plaisant !

L'héros de l'histoire s'appelle Ivan, un homme qui par son origine, une mère danoise et un père palestinien, est fort occupé : Il passe ses journées à faire l'interprète à l'Hôpital du Croissant-Rouge, ses nuits à boire avec des volontaires médicaux et journalistes étrangers et entretemps joue au courrier pour l'OLP. Il a 19 ans, ses parents viennent d'être évacués avec Yasser Arafat et il est amoureux d'Eli, la psychothérapeute norvégienne à l'hôpital, s'il n'accomplit pas des courses dangereuses pour Najwa, l'artiste de faux documents israéliens de l'OLP.

Dans cette ville de Beyrouth l'action ne manque certainement pas : bombes dévastatrices, bagarres de rue, snipers sur les toits d'immeubles à l'abandon etc. Pourtant Mischa Hiller a clairement mis l'accent sur l'évocation d'une ville assiégée et l'angoisse qu'elle provoque et avant tout le portrait d'un nombre de personnages hauts en couleurs et très variés. Il y a Samir, chauffeur, trafiquant et play-boy ; Asha Patel, une chirurgienne de l'Inde ; Bob, un journaliste reporter yankee ; Abu Hisham, leader OLP resté clandestinement dans la capitale libanaise ; et le petit Youssef, un môme palestinien de 12-13 ans, dont une jambe a été arrachée par une bombe à fragmentation ("cluster bomb") pendant qu'il jouait au football dans la rue et que Eli et Ivan aident à apprendre à marcher avec des béquilles.
L'atmosphère dramatique n'empêche pas l'auteur à glisser une bonne dose d'humour : des situations cocasses entre Ivan et la doctoresse scandinave Liv er l'infirmière irlandaise Fiona par exemple, tout comme certaines considérations incongrues d'Ivan, un caractère, somme toute, attachant.

Mischa Hiller, né en Angleterre en 1962, sait de quoi il écrit : de sang mixe, sa mère étant d'origine palestinienne et ayant vécu lui-même à Beyrouth au cours de ces années cruciales. "Sabra Zoo" a été son premier roman, et tout de suite un succès pour lequel il a, d'ailleurs, reçut le Prix du Commonwealth comme meilleur début en 2011, comme Zadie Smith avec son best-seller "Sourires de loup" quelques années auparavent.
Je suis curieux de lire son deuxième roman "Shake Off", une histoire d'espionnage situé au Moyen-Orient, qui a reçu des critiques très favorables.