Quand j'étais ado, j'ai lu énormément d'histoires à propos de cette période charnière de l'histoire de la Grande-Bretagne, quand l'empire romain s'est écroulé et que la christianisation a fait disparaître ce qu'il restait des anciennes coutumes celtes. Il est intéressant de constater que trente ans plus tard (gloups), une nouvelle génération d'autrices s'empare des personnages mythiques qu'on connaît par coeur et passe ces légendes au prisme des préoccupations actuelles de notre société. Dans
Sistersong comme dans La Duperie de Guenièvre, il n'est plus seulement question de féminisme, comme c'était le cas dans les réécritures du mythe arthurien des années 1970 à 1990, mais aussi d'homosexualité et, surtout, plus nouveau encore, de transidentité.
Ici, Myrdhin (notre bon vieux Merlin) est gender-fluid et Keyne a le malheur d'être né dans un corps possédant des attributs féminins alors qu'il se sent homme. C'est super intéressant parce que ça soulève plein de questions que moi-même je me pose depuis quelque temps : je me suis toujours sentie femme, j'adore être une femme (malgré toutes les emmerdes et tous les combats), mais ça veut dire quoi, dans le fond, être femme ? Qu'est-ce qui fait que je me définis comme telle et, surtout, qu'est-ce qu'une personne ressent quand son identité profonde ne correspond pas au genre qui lui a été attribué à la naissance ?
De ce point de vue, j'ai eu l'impression que
Lucy Holland restait un peu trop en surface. Keyne a très peur qu'on l'enferme dans les vêtements et le rôle d'une femme, il se bat pour qu'on reconnaisse en lui un garçon et le digne héritier de son père le roi, mais j'aurais aimé que sa psychologie soit encore plus fouillée – tout comme celle des autres personnages, d'ailleurs.
Sistersong est un roman divertissant qui a le mérite d'aborder des sujets de société importants, mais il m'a laissé comme un arrière-goût de déception. J'en garderai certes quelques scènes magnifiques (notamment un rituel de Beltane où Keyne danse avec le feu) ou troublantes (ce qui arrive à Sinne), mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il n'est pas totalement maîtrisé. Par exemple, j'ai rapidement deviné l'identité de Tristan mais je ne suis pas sûre que c'était voulu, j'ai l'impression que c'était censé être l'une des révélations finales.
Malgré tout, j'ai passé un bon moment et j'ai adoré constater, une fois de plus, à quel point les romans historiques sont aussi, et peut-être avant tout, le reflet de notre propre époque…
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