Dorrit vit dans un monde proche du nôtre, jusqu'à ce qu'elle fête ses 50 ans alors qu'elle est toujours célibataire et n'a pas eu d'enfants. Aux yeux de la société, elle est donc considérée comme "superflue". Elle doit rejoindre
l'Unité, où elle est coupée du reste du monde : à partir de là, elle n'existe plus. Logée dans un appartement lumineux et confortable, bien nourrie, tout le monde est aux petits soins pour elle, comme dans une super maison de retraite ! Sauf que l'envers du décor est bien plus noir : ces "superflus" servent en effet de cobaye pour toutes sortes d'expériences et peuvent être amenés à tout moment à offrir leurs organes à des individus méritants, souvent pères et mères d'une famille nombreuse.
Nous suivons donc Dorrit dans sa nouvelle vie, ses espoirs déçus et l'acceptation de sa nouvelle condition. En y réfléchissant, l'idée est assez atroce en elle-même : on demande à une partie de la population de renoncer aux droits de l'homme, en même temps que leurs devoirs envers la société augmentent, comme une dette à payer, comme si elle n'avait pas rempli un contrat non dit qui oblige la femme à procréer …
"Il y a d'abord eu la loi stipulant que les parents devaient se partager à part strictement égale le congé parental au cours des dix-huit premiers mois de l'enfant. Ensuite, la crèche est devenue obligatoire huit heures par jour pour tous les enfants entre dix-huit mois et six ans. La femme au foyer et son soutien masculin sont des notions depuis longtemps non seulement exclues mais bannies. Quant aux enfants, ils ne sont plus des freins ou des entraves pour quiconque. Plus personne ne court le risque de finir dans une situation de dépendance, de se retrouver à la traîne dans son évolution salariale ou de perdre ses compétences professionnelles. En tout cas, pas à cause des enfants. Il n'y a plus d'excuse pour le pas procréer. Il n'y a plus d'excuse non plus pour ne pas se tuer au travail lorsqu'on est parent. "
J'ai d'abord été un peu déçue quand j'ai eu le fin mot de l'histoire : tout cela ne me semblait qu'un vaste réchauffé de
Auprès de moi toujours, par
Kazuo Ishiguro, qui date de quelques années. Certes, la nature des personnes concernées est différente puisque ce ne sont pas des clones mais bien des êtres humains (issus d'une mère !). Les personnages n'ont donc jamais rien connu d'autre et on ne leur a jamais caché ce qui allait leur advenir. Et dans les deux cas, ils sont capables de sentiments, d'émotions. Au final le résultat des deux romans est le même, mais ce postulat de départ peut faire toute la différence, et expliquer les réactions d'acceptation et de rejet de chaque personnage.
Mais dans
L'Unité, le point de vue est un peu différent que dans
Auprès de moi toujours, dans lequel les clones ne servaient que de bétail. Ici, la réflexion est allée plus loin, et la solution a débouché conséquemment de l'amélioration de l'égalité au quotidien. Cela crée une société qui pourrait être donc parfaite, si l'égalité hommes-femmes suffisait à fonder une société cohérente. Malheureusement, ce n'est pas le cas car ce qui est à noter, c'est que les personnes les plus superflues sont souvent les intellectuels, artistes ou autres gens qui lisent, qui créent. Peut-on supposer que l'art est incompatible avec la procréation ? Et que du coup, mieux vaut sacrifier l'art que la capacité de reproduction de la société ? L'égalité hommes-femmes vaut-elle la peine que l'on élimine la culture ? La liberté de choix peut-elle être sacrifiée pour la cause de l'humanité ?
Ninni Holmqvist nous propose donc un monde dystopique glaçant, mais qui ne m'a semblé finalement peut-être pas assez développé, fouillé, pour être entièrement crédible. Néanmoins c'est un roman agréable, qui prend aux tripes et ne nous laisse pas en sortir indemnes. Ce qui augure bien de la suite de la carrière de ce nouvel écrivain.
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