Esprit, ouvre-toi !
L'auteur croise le regard de Comenius, philosophe et pédagogue tchèque, comme l'a exprimé Rembrandt dans son Portrait d'un vieil homme, immédiatement elle a le dessein d'imaginer la rencontre et l'amitié entre ces deux géants.
Elle fait vivre ce XVIIe siècle, avec une écriture puissante qui sait parfaitement unir en épousailles l'Histoire et les arts.
Elle nous restitue l'acuité du regard de Rembrandt sur son monde qui s'effondre, dès les premières lignes, nous entrons dans l'intimité du peintre, dont la maison et les oeuvres sont pillés par des huissiers, tels des charognes ; la foule qui assiste et essaie de prendre ce qu'elle peut.
Dans ce chaos, le peintre rencontre le regard bleu de Comenius.
« Ce regard bleu vient d'ailleurs, ma banqueroute déplace bien des curieux. Il me distrait et je suis surpris de m'en trouver satisfait aujourd'hui. le regard bleu, ce détail, ce coin enfoncé dans l'assemblée hostile, me rassure quant à mes capacités. Je ne passe jamais à côté d'un sujet. »
Plus tard, ils se rencontreront lors d'une soirée, où le peintre est à peine considéré, alors que Comenius, fait part avec véhémence de ses théories.
Amsterdam, est une ville cosmopolite, et Comenius est en exil sous la protection de la famille de leur hôte.
Un peu plus d'une dizaine d'années se déroulent sous nos yeux, et nous découvrons le travail du peintre et ses obsessions, en parallèle l'esprit d'un philosophe tchèque qui a, non seulement un esprit brillant, mais aussi ce désir de partage et d'offrir l'accès au plus grand nombre, les outils de la connaissance.
J'ai été subjuguée par cet aspect, l'esprit novateur de Comenius, les détails, comment après avoir tout perdu ou presque de ses écrits, Comenius reconstitue son oeuvre, avec lucidité, opiniâtreté, et comment il sème ses idées, comment il table tout sur l'éducation des plus jeunes.
« Ma correspondance me prend le plus clair de mon temps. Je pourrais dicter, mes enfants me proposent régulièrement leur service, mais je tiens à tenir ma plume. Il est si bon de toucher le papier, d'y poser sa pensée.»
Il y a aussi une belle réflexion sur l'exil et l'enrichissement induit :
« Ce ne sont pas mes voyages mais l'exil qui m'a fait découvrir la notion de patrie, en même temps qu'une formidable appartenance à la grande communauté des hommes.»
J'ai trouvé ce livre audacieux, parfaitement éclairant sur les thèmes abordés, j'ai vécu dans cette capitale de l'Europe savante, dans ce siècle fascinant. Un peintre qui met à distance ce regard acéré sur le monde et un humaniste qui vit intensément son siècle pour en restituer une méthode éducative, car il sait que l'éducation est à la base de tout.
Ces conversations rêvées sont parfaitement orchestrées et nous montrent l'aspect exceptionnel de ces deux personnages.
C'est tout un jeu d'ombres et de lumières dans lesquelles l'Europe se dessine.
Si nos têtes pensantes concernant l'éducation en France pouvez se pencher sur les théories de Comenius…
Ce quatrième roman de Lenka Horňáková-Civade est surprenant et d'une grande richesse, l'écriture sait allier le souffle et l'éloquence, nuancer la puissance de ces deux hommes si différents.
Un siècle qui vit sous nos yeux, qui nous transporte, il n'y a pas de surenchère, juste une belle exigence.
La dichotomie entre le peintre qui ne jure que par l'excellence et son individualisme et le philosophe qui souhaite élargir la connaissance, en faire une aspiration universelle, une arme pour la paix, est parfaitement dessinée.
En filigrane, la vieillesse s'invite dans le tableau, décrépitude ou acquisition de sagesse ?
« L'âge nous libère de presque tout. La vieillesse se mérite.»
©Chantal Lafon
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