L'auteure, née en 1971, est tchèque. Elle est peintre et vit aujourd'hui dans le Vaucluse. Ce n'est qu'à l'âge adulte qu'elle a appris le français, et pourtant, je l'ai entendu parler sans le moindre accent, si ce n'est une très légère pointe d'accent... du Midi.
Selon l'expression consacrée, Ana, l'héroïne du roman, a «voté avec les pieds», en quittant la Tchécoslovaquie (tout comme l'auteure, mais ce n'est pas un roman autobiographique). Ana arrive en France en 1988, vingt ans après la répression du «printemps de Prague» d'Alexandre Dubcek, vaine tentative de «communisme à visage humain». Elle n'a pas connu les chars soviétiques de 1968 car elle n'était pas née, mais le carnage est resté dans les mémoires familiales. À la p. 162 elle confie «J'ai appris qu'ici, ‘les Boches', ça sonne comme ‘les Russes' chez nous».
Ana arrive à Paris, dans une colonie de vacances organisée par les partis communistes français et tchécoslovaque, mais le dernier jour, sur le quai de la Gare de l'Est, elle refuse de rentrer.
«Tu n'entends pas? Monte... Non... Aujourd'hui, 21 août 1988, c'est mon anniversaire. J'ai dix-huit ans. Je suis adulte. Je décide». le train finit par partir en retard, avec ses valises, mais elle a récupéré son passeport confisqué à l'arrivée en France «pour notre sécurité, nous a-t-on expliqué. Pour la leur, en fait. Pour qu'on ne s'échappe pas».
Son père, membre du parti communiste, travaillait à la censure, et pourtant... On apprend (seulement à la p. 246) que ce bon communiste lui a glissé à l'oreille: «Ne reviens pas... si tu peux».
Ana parle des séances de films soviétiques obligatoires qu'elle évitait en se faisant malade, et de la fête du 1er mai qui est différente en France. Là-bas, le 1er mai, c'est «les cortèges obligatoires» et «se trimbaler en rue avec des drapeaux rouges» (pp. 131 et 188). En France, c'est le muguet. Elle n'arrivera pas à fêter le 1er mai à Paris. Peut-être l'an prochain.
Ana se retrouve donc sur le quai de la gare de l'Est, sans argent ni valises, parlant juste un peu français. «En guise de cadeau d'anniversaire, je m'offre un tour de Paris à pied, je me laisse engloutir par les rues». L'aventure commence. le roman est une sorte de conte d'initiation à la liberté, à la tolérance, à l'espérance, à l'amitié, à l'émancipation pour un nouveau départ, une nouvelle vie où tout est possible, et la rencontre de plein de gens qui vont l'aider à se reconstruire.
Le hasard la conduit au Père Lachaise où elle est abordée par la mystérieuse Grofka dont on apprendra seulement aux pp. 131 et surtout 232, qu'elle aussi est tchèque, qu'elle a fui de même quinze ans plus tôt, et qu'elle a suivi Ana depuis la Gare de l'Est sans rien dire avant de l'aborder, flairant qu'elle reproduit son propre parcours. À quinze ans de distance, elles auront aussi le même amant. On le saura à la fin.
Grofka conduit Ana au café tenu par Bernard, où elle trouve refuge dans une petite pièce et où elle fait la connaissance de la faune des habitués. Paradoxe, Bernard est communiste. «Dois-je penser que je suis prédestinée à fréquenter les communistes toute ma vie ? (p. 170). Grofka lui a trouvé un logement et lui offre des vêtements. Chaque rencontre lui apportera quelque chose. Il y a d'abord deux sympathiques grands-pères, les premiers clients chaque jour à l'ouverture du café, Jacob et Yacoub, un juif et un arabe, tous deux d'Algérie, qui viennent y prendre leur café chaque matin en discutant de la lumière de la Méditerranée et des couleurs du désert. Il y a aussi Maria Ferreira qui se fait appeler Marie-Pierre, une Portugaise qui a fui une autre dictature. Il y a ensuite Eugène, l'esthète, et surtout son ami Albert, peintre (comme la romancière) dont Ana devient la muse et le modèle nu, dans son atelier, sous la verrière, ce qui nous vaut plusieurs passages d'une grande sensualité, par exemple (impossible de tout citer):
«Le soutien-gorge, vieux et élimé, tombe par terre, je ne le remettrai plus, deux seins, beaux, ronds, fermes... j'admire comment se marie cette courbe du dos avec la naissance des fesses... il suffit de donner un petit coup au pantalon pour qu'il tombe à mes pieds, la culotte le suit ; le triangle des poils noirs, denses... tout cela est harmonieux pour l'oeil... les mains pour voir... » (p. 159), mais Albert ne s'intéresse à elle que comme modèle alors qu'elle se voudrait femme.
Entre son travail sous la verrière et son retour au café, elle arpente les rues de Paris, ce qui nous vaut de nombreux passages comme celui-ci: «Depuis un moment, mes trajets entre le café, mon port d'attache, et l'atelier, se rallongent. Je m'enfonce avec plaisir dans les nuits teintées par l'orange des réverbères... je prends possession de cette ville» (p. 161). «Avril appâte le monde avec la promesse de jours plus longs et de plus en plus chauds».
La verrière, c'est un lieu mi-clos car transparent, frontière lumineuse entre le dedans et le dehors, entre elle et le ciel. Après le premier roman de l'auteure, «
Giboulées de soleil» (Prix Renaudot des lycéens 2016), le titre de celui-ci, «
Une verrière sous le ciel» regarde aussi vers le haut, l'avenir, le ciel, à travers les nuages, mais d'une manière plus sereine et apaisée.
Fort diverses, toutes ses rencontres auront leur importance pour la nouvelle vie de la jeune femme. Elle apprendra de chacun. Longtemps, elle se tait, ne se montre pas. Derrière la porte de sa petite chambre, elle écoute les conversations du café, observe, et peu à peu s'ouvre, se forge, comparant son pays d'origine à sa nouvelle patrie où elle vit. Exil et découvertes, les souvenirs et les cultures se combinent dans un hymne à la liberté, un rejet des dictatures, plein de poésie et de tendresse.
«Je voudrais confier aux nuages voguant dans le ciel de France un message qu'ils transporteraient jusqu'à Prague, je voudrais que ce soient les nuages qui fassent le pont» (p. 141).
Ce n'est qu'à la p. 195 (un an après son arrivée), qu'Ana va habiter chez Albert, «dans son grand lit». La pudeur n'en dira pas plus, sauf que peu après, elle est enceinte d'Albert, qui meurt non pas près d'elle mais dans les bras de son ancienne amante, Grofka. L'ancien amour était le plus fort. Édouard propose généreusement de l'épouser, mais elle décline la proposition. Elle est dénoncée à la police, par Grofka «fée ou sorcière»?
Le communisme est tombé. Elle ne peut plus demander l'asile politique en France. Elle n'a pas oublié son pays d'origine. le rideau tombe à l'avant-dernière page: «La Gare de l'Est. le point de départ. Je suis déjà dans le train». Nouveau départ !
Ce livre est l'un des quatre finalistes du prix littéraire du Club Richelieu International Europe qui sera décerné au début 2019.
Une réflexion encore. L'enfer qu'a connu Ana jusqu'à 18 ans s'est écroulé mais il ne faut rien oublier. Si vous passez par Prague, ne manquez pas, en haut de la place Wenceslas, haut lieu à l'époque de la résistance du peuple, la toute petite stèle, toujours fleurie, à la mémoire de Jan Palach, l'étudiant martyr et symbole de la liberté qui s'est immolé par le feu à cet endroit pour protester contre l'oppression, et mobiliser les consciences. Ce fut l'icône de la résistance. Quand je suis allé à Prague avec ma fille, c'est la première chose que j'ai voulu lui montrer.