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Critique de Glaneurdelivres


« Vends maison où je ne veux plus vivre » est un recueil de 7 nouvelles de Bohumil Hrabal, qui sont tirées pour une bonne moitié de son séjour parmi les ouvriers d'une fonderie.

Certaines nouvelles sont assez avant-gardistes, et extravagantes. Des propos fragmentaires étrangers les uns aux autres s'opposent, s'entrecroisent et se complètent comme les pièces d'une mosaïque.

On trouve dans ces nouvelles, les influences, les intérêts, les penchants que Hrabal a pour la poésie, l'art moderne, et le surréalisme, lui qui est admiratif des oeuvres de Guillaume Apollinaire et de André Breton (pour ne citer qu'eux), et l'ironie, et l'humour noir aussi !

Ainsi Bohumil Hrabal nous emmène-t-il dans son univers et sa vision du monde, singuliers, où règnent, folie douce, élan baroque, exagérations, jubilation et, humour déguisé et grinçant.
Et les personnages qu'on y rencontre sont des gens simples, des intellectuels, des marginaux…

-La nouvelle intitulée « Poldi la belle » est un très beau récit. C'est du grand Hrabal ! Il parvient en quelques mots à relier le désespoir du monde à sa beauté sublime ! L'écriture est forte, sans concessions. « Et l'acier insatiable traverse l'oeil de cet autre, il efface l'image de sa femme et le lamineur fait de ridicules sauts pout tenter de fuir son malheur. Oui, parfois le progrès dévore des jeunes hommes tout rôtis et l'ambulance argentée emporte un corps, les pieds contre la porte vitrée ; la main écrasée voudrait tant reprendre la forme qui était la sienne, le pied arraché a surtout mal au gros orteil disparu avec ce même pied. », «Mais la belle Poldi est aussi ce cri volontaire qui réduit en charpie banderoles et slogans, trois couronnes cinquante les cent grammes, car l'homme remonte les conduits de son cerveau et vérifie la note », «…vivre, c'est être fidèle aux folles beautés, parfois même au prix de sa propre vie. »

De façon sous-jacente, on sent la révolte et l'amertume de Bohumil Hrabal, qui est las des belles phrases, des sempiternelles banderoles brandies à la gloire de dirigeants politiques qui musèlent l'intelligentsia tchèque, et le contraignent à la censure.

-Dans « le tambour crevé », il y a un simple ouvreur de cinéma qui se considère comme « maître de cérémonie », qui fait régner l'ordre dans les salles de spectacles, et son beau-frère, un contrôleur de passeports, qui se considère comme « maître de cérémonie des voyages à l'étranger » !
Le beau-frère contrôleur, de façon tout à fait arbitraire, décidera d'apposer (ou non), son tampon sur des passeports pour des voyageurs désireux de sortir du pays. (On est au temps du Protectorat de Bohème et Moravie, et règne une atmosphère étouffante et oppressante dictée par l'occupant allemand.)
Soif de pouvoir ? Excès d'autorité ? Ces débordements mentaux excessifs sont symbolisés dans cette nouvelle par un « lutin embrouilleur », petit bonhomme, petit démon espiègle et malicieux qui « brouille les pistes ». Lors de la représentation d'une tragédie au théâtre, l'ouvreur voit une femme tomber de très haut et au lieu de lui porter secours, dit « je me suis penché »…«, et, en ouvreur qui se respecte, j'ai fait : Chut… », « …la bonne femme était étendue à terre, les jambes brisées, elle chialait », « je n'en avais rien à faire de cette femme brisée, du point de vue du maître de cérémonies une seule chose comptait : que la tragédie fût jouée jusqu'au bout ».
Et tout ce qu'il voit, à l'extérieur de chez lui, à son domicile, au travail, tout cela pour lui fait partie de la « Symphonie pathétique » qu'il va entendre le soir en tant qu'ouvreur, cette symphonie pathétique, tourmentée et tragique de Piotr Ilitch Tchaïkovski !

Confusion, enfermement, mais aussi note d'espoir pour l'homme, -un baraquement, -une détenue à demi folle qui écoute l'orgue de Barbarie jouer « Les Millions d'Arlequin » (C'est le titre d'un autre roman de B. Hrabal). « Dans son oeil, une larme brillait comme un diamant. Toujours lorsqu'ils sont au plus bas, les gens se remplissent les yeux de belles choses. » « …il est bon de demeurer dans l'angoisse, d'entendre ses dents claquer de peur, il est bon de pousser sa vie à la perte et de recommencer au matin. », « le monde est plein d'art, il suffit de savoir regarder autour de soi et de se confier ensuite à l'inépuisable murmure, aux choses sans importance, aux désirs et aux souhaits. », « Pour tous, il existe une toiture, mais pour tous aussi un paradis. »

-Dans « Kafkaesques », on est dans un « montage choc » de personnages et d'événements qui s'imbriquent et créent une atmosphère baroque et surréaliste, dans une expression toute poétique.
« Une prostituée passa par là, belle, en robe blanche comme un ange, elle se retourna et la cosse de sa bouche se fendit pour déverser deux rangées de petits pois blancs. J'eus terriblement envie de griffer son sourire de quelques mots colorés qu'elle pourrait lire au matin dans son miroir en se brossant les dents. »

-Dans « Drôles de gens », les ouvriers de la fonderie refusent de travailler tant qu'ils n'auront pas vu un responsable pour obtenir un « relèvement des normes comme le prévoit le règlement ».
Le responsable en question apparaît comme un personnage fantoche, dont on se moque. Il est traité de « roi de théâtre de marionnettes ». Il doit aller consulter ses supérieurs…
Un réalisateur de films intervient avec son équipe pour faire un tournage dans la fonderie…
« -Pourvu que ça ne se passe pas comme la fois qu'ils sont venus filmer l'intense activité de l'aciérie, dit le Français, et qu'il n'y avait pas un chat. du coup, les cinéastes tapaient sur les seaux et faisaient tomber des boîtes de conserve de la galerie en décrivant avec enthousiasme comment tout ça remplit le plan. » Pour ceux qui sont fans des bandes dessinées de Hergé, on pense tout de suite à une scène similaire représentée dans « Tintin chez les Soviets » !
Mélange d'ironie et de drôleries dans cette nouvelle, mais aussi de nostalgie et d'amertume.
Ici à Kladno, dans la fonderie, ce sont des piles et « des piles de christs rouillés, d'anges, … » issus des cimetières et des églises, qui vont être fondus, pour disparaître à jamais, pour faire disparaître ce qui ne convient pas à l'idéologie communiste.
Dans « Une trop bruyante solitude » (autre roman incontournable de Bohumil Hrabal), ce sont les livres et la culture que Hanta, l'anti-héros, doit mettre au pilon toute la journée pour ces mêmes raisons idéologiques !

-dans la « Trahison des miroirs », un vertige se dégage de l'évocation d'un jeune infirme, qui à la naissance, a dû être cassé dans le ventre de sa mère pour qu'on puisse l'en sortir !
Mais dans cette nouvelle, c'est la douceur qui est vertigineuse. Quand le sculpteur « vomit juste un peu » dans son auge, ou encore quand les cloches et la blouse d'un maçon, à la fin « tremblent légèrement » dans la brise que déclenche l'explosion d'un monument géant. (Evocation de la statue géante qui avait été érigée à Prague à la gloire de Staline, et dont parle bien Mariusz Szczygiel dans son livre « Gottland »).

-Dans la nouvelle « L'ange », l'ange est un « ange-gardien », un gardien de prison…
« le gardien… fixait le petit lit qui couronnait la pile de machines à écrire et cet ange gardien l'attirait dans la chromo, lui agrafait des ailes ». le gardien découpe l'image d'un petit ange qui ornait le petit lit, glisse l'ange-gardien sous sa chemise contre ses omoplates, « rien au monde ne pouvait plus l'empêcher d'avoir des ailes blanches et d'être ainsi sauvé à ses propres yeux. »

-Dans « de ferraille en lingots », Hrabal superpose froidement un dialogue sur le devenir du monde et le viol d'une jeune femme désarmée par l'alcool.
Le loufoque y est présent aussi, avec des personnages hauts en couleurs : un docteur en philosophie, un ouvrier aux yeux cerclés d'un triple cerne, un pompier qui s'émerveille de se voir si beau dans son uniforme… On est au « Café du commerce », avec du langage populaire…
Un philosophe regrette le temps de la bourgeoisie du temps de l'Autriche-Hongrie, car les putains dans ce temps-là « ça c'étaient des dames » !
Il ne se fait pas d'illusions sur le sort qui attend la Tchécoslovaquie, c'est pourquoi il a mis une annonce : « Vends maison où je ne veux plus vivre » !

Vous l'aurez compris, ces nouvelles abondent d'un mélange de poésie, de merveilleuses imbrications et de montages qui sont des circuits déroutants parfois, et qui peuvent donner le vertige.
Mais elles sont l'expression d'un art libre et jubilatoire à l'image de la vie, tourbillonnante et riche d'invention.

« Puis il ne resta sur le flanc du terril que les scories ardentes, une cicatrice béante comme le sexe de ce paysage. -Laissez-moi viiivre, laissez-moi viiivre, chuchota la voix sous la fenêtre. »
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