Citations sur L'Homme qui rit (679)
C'était cette minute d'anxiété préalable où il semble que les éléments vont devenir des personnes, et qu'on va assister à la transfiguration mystérieuse du vent en aquilon. La mer va être Océan, les forces vont révéler volontés, ce qu'on prend pour une chose est une âme. On va le voir. De là l'horreur. L'âme de l'homme redoute cette confrontation avec l'âme de la nature.
Il était ployé et mélancolique. La taille courbée du vieillard, c'est le tassement de la vie. La nature l'avait fait pour être triste. Il lui était difficile de sourire et il lui avait toujours été impossible de pleurer. Il lui manquait cette consolation, les larmes, et ce palliatif, la joie. Un vieux homme est une ruine pensante ; Ursus était cette ruine-là.
Deux instincts, l'un l'idéal, l'autre le sexe, combattaient en lui. Il y a de ces luttes entre l'ange blanc et l'ange noir sur le pont de l'abîme.
Enfin l'ange noir fut précipité.
Un jour, tout à coup, Gwynplaine ne pensa plus à la femme inconnue.
Le combat entre les deux principes, le duel entre son côt terrestre et son côté céleste, s'était passé au plus obscur de lui-même, et à de telles profondeurs qu'il ne s'en était que très confusément aperçu. »
L’ange gardien de la femme aimée, c’est la conscience de l’homme qui aime.
Les comprachicos faisaient le commerce des enfants. Ils en achetaient et ils en vendaient. Ils n’en dérobaient point. Le vol des enfants est une autre industrie. Et que faisaient-ils de ces enfants ? Des monstres. Pourquoi des monstres ? Pour rire. Le peuple a besoin de rire ; les rois aussi. Il faut aux carrefours le baladin ; il faut aux louvres le bouffon. L’un s’appelle Turlupin, l’autre Triboulet. Les efforts de l’homme pour se procurer de la joie sont parfois dignes de l’attention du philosophe.
Parler tout haut et tout seul, cela fait l'effet d'un dialogue avec le dieu qu'on a en soi.
C’est l’habitude de l’envieux de s’absoudre en amalgamant à son grief personnel le mal public.
Heureusement Ursus n'était jamais allé dans les Pays- Bas. On l'y eût certainement voulu peser pour savoir s'il avait le poids normal au-delà ou en deçà duquel un homme est sorcier. Ce poids en Hollande était sagement fixé par la loi. Rien n'était plus simple ni plus ingénieux. C’était une vérification. On vous mettait dans un plateau, et l'évidence éclatait si vous rompiez l'équilibre : trop lourd, vous étiez pendu ; trop léger, vous étiez brûlé.. On peut voir encore aujourd'hui à Oudewater, la balance à peser les sorciers, mais elle sert maintenant à peser les fromages, tant la religion a dégénéré !
Pourquoi dit-on un amoureux? On devrait dire un possédé. Être possédé du diable, c'est l'exception ; être possédé de la femme, c'est la règle. Tout homme subit cette aliénation de soi-même. [...]
On est fait prisonnier par l'âme d'une femme. Par sa chair aussi. Quelquefois plus encore par la chair que par l'âme. L'âme est l'amante ; la chair est la maitresse.
Ursus était remarquable dans le soliloque. D'une complexion farouche et bavarde, ayant le désir de ne voir personne et le besoin de parler à quelqu'un, il se tirait d'affaire en se parlant à lui-même. Quiconque a vécu solitaire sait à quel point le monologue est dans la nature. La parole intérieure démange. Haranguer l'espace est un exutoire. Parler tout haut et tout seul, cela fait l'effet d'un dialogue avec le dieu qu'on a en soi. C'était, on ne l'ignore point, l'habitude de Socrate. Il se pérorait. Luther aussi. Ursus tenait de ces grands hommes. Il avait cette faculté hermaphrodite d'être son propre auditoire. Il s'interrogeait et se répondait ; il se glorifiait et s'insultait. On l'entendait de la rue monologuer dans sa cahute. Les passants, qui ont leur manière à eux d'apprécier les gens d'esprit, disaient : c'est un idiot.