Ce roman est en fait une autobiographie à peine romancée de la jeunesse de Violaine Huisman et de sa soeur, filles de Catherine et Antoine. Leurs parents sont, pour le père, un homme mondain, philosophe et écrivain, d'origine juive (« un peu juif »dit-elle») évoluant dans un milieu grand-bourgeois, à la fois hautain et coincé quand il s'agit de la grand-mère . Pour faire bonne mesure, leur père, Antoine, a vu une vague de suicides dans sa proche famille et lui-même se comporte de façon passablement a-normale, entre carriérisme et plaisirs sexuels de tous ordres.
Quant à Catherine, une femme dite « roturière », danseuse, chorégraphe, élégante, gracile, malgré une déformation de la jambe et surtout excentrique, fantasque, névrosée, il faut dire qu'elle a de quoi être perturbée : fille d'une mère danseuse classique qui l'a délaissée des années durant en la « déposant » à l'hôpital Necker, une mère elle-même victime d'un viol. Pas mieux pour ce qui est du père abuseur et absent.
Sevrée d'amour maternel, s'étant jurée de ne jamais traiter ses filles avec indifférence, elle pratique l'amour exacerbé, les excès de langage sur tout le registre émotionnel, entre déclarations passionnées à ses filles et insultes, voire gifles retentissantes. Si, comme on dit, tout se joue avant l'âge de cinq ans, elle et ses filles partent dans la vie avec un sacré handicap !
Il faut dire que le milieu prétendu « libéré » dont elle fait partie par mariage ne risque de structurer ni sa vie ni celle de ses filles : amants, amantes, échangisme, dépenses à profusion, consommation de drogues, de médicaments et d'alcool, absence totale de frein à sa prétendue créativité (dont on ne voit guère la trace, si ce n'est la création de quelques écoles de danse éphémères), Catherine fait peine à voir vivre tant elle est éparpillée, inconstante, idéaliste, carrément égoïste ou superbement généreuse, une flamme qui s'agite en tous sens et brûle les fondements de la jeunesse de ses filles. Ses séjours en HP ne vont pas la guérir de cette maladie qui tombe comme une avalanche sur la tête de deux toutes petites filles, d'une « phrase qui tue l'enfance » : elle est maniaco-dépressive.
On peut la trouver attachante, si pleine de vie, si tendre, si...tout ce qu'on voudra ! En fait, elle est surtout « trop », trop tout ! On ne sait pas comment ses maris et amants ont pu vivre en continu avec elle (sauf s'ils étaient un peu borderline eux aussi, ce qui fut souvent le cas) mais on compatit à la douleur des deux enfants, devenues mères de leur mère, chargées, à dix ans, de la réanimer, d'appeler les pompiers, entre drogues diverses, vomi, alcool et échos de luxure. Comment se construire après tout cela ?
Pourtant, ce livre est une ode à l'amour mère-fille, un chant vibrant d'émotion, une déclaration haute et forte que la mère, tout imparfaite qu'elle soit reste l'amour de leur de leur enfance, de leur jeunesse, de leur vie de femme. Compréhensible ? Peut-être. Touchant, sans aucun doute.
Le récit s'articule intelligemment entre d'abord, le récit de la fille cadette, avec ses analyses et son ressenti et ensuite, celui d'une narratrice qui restitue la vie de Catherine vue de son point de vue. Les deux parcours se croisent et précisent les faits.
L'écriture de ce roman qui n'en est pas un est précise, sans émotions superflues, à l'image des exigences de Catherine : « Tu veux que je t'en colle une pour que tu saches pourquoi tu pleures? Maman exagérait, maman abusait franchement, sa mauvaise foi dépassait les limites de l'entendement : elle-même pleurait à tout bout de champ[...]quand la saison des larmes arrivait c'était la mousson, Isis faisant déborder le Nil. »
Ce livre pose, une fois de plus, la question des rapports enfant-parent et surtout mère-fille, relation passionnée, fusionnelle, excessive, démesurée, qui condamne tout, qui pardonne tout, qui nous revient en effet-miroir et nous impose de nous positionner dans la chaîne de la filiation.
« Catherine ne pouvait être pour moi qu'une idée, une notion abstraite, au mieux une inconnue. […] A mes yeux, Catherine ne serait jamais qu'un personnage ? Aussi je lui attribuais mon fantasme de ce qu'avaient pu être son histoire, ses pensées, ses choix. Certes, sa vie elle me l'avait raconté par le menu, mais pour l'incarner il fallait l'imaginer, l'interpréter. Il fallait que j'en devienne la narratrice à mon tour pour lui rendre son humanité. »
Pour chacun, chacune d'entre nous, il est impossible de restituer la vie de nos mères, de nos pères, à moins peut-être de faire comme Violaine Huisman : tenter de se convertir en narrateur de leur vie, avec les éléments dont on dispose. Au risque de les trahir, au risque de se faire un peu mal, peut-être, mais avec l'espoir, sans cesse renouvelé, de les ramener un peu à la vie.
Un premier roman attachant, troublant, dérangeant aussi.
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J'ai acheté ce livre à contre coeur. Trop de publicité, trop de tapage autour de cette jeune femme dont on vantait le talent avec une insistance suspecte. J'y voyais quelque chose de louche, de parachuté. Et puis franchement, un premier roman qui parle d'une mère un peu folle : on a l'impression d'avoir lu ça deux cents fois. Et pourtant, je fus emporté, littéralement transporté par ce récit, par la profondeur des émotions que l'auteur parvient à communiquer avec sincérité mais aussi, avec beaucoup de pudeur. Un premier roman réussi. On attend le second, sur une thématique moins intime ?
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C'est l'histoire d'un amour fou. L'amour de deux filles pour leur maman que la vie a ravagée.
Ça, elle n'a pas eu de chance Catherine… C'était mal barré. Même avant sa naissance. Mais Catherine est une reine, alors elle se bat, tout le temps, elle lutte contre le destin, contre cette auto-destruction qu'elle a là, vrillée au corps. Catherine est diagnostiquée maniaco-dépressive puis internée parce que vraiment, rien ne va plus. Catherine enchaîne les extravagances, les folies, Catherine boit, Catherine fume comme un pompier, jure comme un charretier, Catherine se drogue aux médicaments, baise à tout va, n'importe qui, n'importe comment. Il n'y a plus de limites quand Catherine essaie d'oublier qui elle est. Juste une chose résiste à l'incendie : l'amour que Catherine porte à ses filles.
Et le papa dans tout ça ? Pas mal barré lui aussi. On ne peut pas dire qu'il soit absent. Pas totalement. Il a d'autres chats à fouetter, il fait partie de l'élite, un intellectuel, un entrepreneur. Alors il pare au plus urgent. Il paie. Il paie aussi pour le mal qu'il fait à Catherine en l'aimant complètement de travers. Un homme double, à deux visages.
Les deux petites filles font ce qu'elles peuvent pour survivre dans cette vie foutraque. Elles aiment leur maman. Passionnément.
C'est Violaine, la cadette qui raconte cette histoire pas totalement romanesque (ou pas du tout ?). D'abord en nous plongeant dans le quotidien de cette famille « hors normes » puis en cherchant, dans le passé de sa maman les racines du mal qui la ronge.
Une écriture rock n'roll, remarquable, différente, impressionnante et sans pathos.
Un livre fort, aussi éprouvant que passionnant.
Extrait d'un poème de Violaine à sa maman :
Maman, Maman,
Toi qui m'aimes tant,
Pourquoi partir sans prévenir ?
Car maintenant je vais souffrir
Souffrir de ne pas te voir revenir…
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Le titre est fabuleux même sans le comprendre. Puis on lit, on lit, et le titre devient encore plus beau, plus lumineux, il prend alors tout son sens. Comme l'histoire elle-même. Au début, on se retrouve happée par une écriture franche, sans pudeur, mise à nue, dévoilée, presque indécente. On est quelque peu gênée, qui est donc cette mère, si violente, si abrupte, si fantasque. On est mal à l'aise, on regarde de travers, on fronce les sourcils, se demandant le sens à tout cela. Puis on arrive tout en haut soudain, c'est-à-dire au milieu du livre et une autre histoire est racontée. Commence la chute. Lente, mais vertigineuse. L'auteur ne nous épargne pas, elle dit les choses, écrit, elle vomit presque ses mots, son histoire et SON histoire et nous retourne le coeur. La femme qu'on a jusqu'alors peut-être un peu détestée, nous paraît si attachante. C'est plus qu'un portrait de mère, c'est un portrait de femme. C'est un hymne à l'amour, un amour débordant, inconditionnel, sans limite, qu'on ne veut/peut pas quitter. J'ai tremblé, mon coeur s'est serré, mes yeux embués. Bouleversant.
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Une enfance malheureuse ou une enfance hors norme ? Pas facile de la vivre avec une telle maman ! Mais cette maman donne également à ses filles l'art du grandiose, du démesuré, et malheureusement du jusqu'au-boutisme dans la lente folie. Un enfant ne sort pas indemne d'un tel chaos, c'est certain.
Balancer sans cesse entre la prodigalité maternelle et l'angoisse de cette dernière.
Ce récit m' énormément touchée, peut-être parce que j'y' trouve quelque écho ....
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