La délicatesse du goût contribue à l'amour et à l'amitié, en bornant notre commerce à un nombre choisi de personnes, et en nous rendant indifférent pour les grandes sociétés. Rarement les gens du monde, quelque esprit qu'ils aient, sont en état de discerner les caractères et de remarquer ces différences fines, ces gradations imperceptibles qui rendent un homme si préférable à un autre homme.
Rien n'est plus propre à adoucir l'humeur que l'étude des beautés, soit de la poésie, soit de l'éloquence, soit de la musique, soit de la peinture : cette étude donne au sentiment une certaine élégance que sans elle personne ne saurait acquérir ; ils retirent l’esprit du trouble des affaires, lui inspirent le désintéressement, répandent des charmes sur la méditation, nous font aimer la vie tranquille, et nous plongent dans cette douce mélancolie, qui de toutes les dispositions d'esprit est la plus favorable à la naissance de l'amour et l'amitié.
Chaque individu doit accepter son propre sentiment sans prétendre régler ceux d’autrui. La recherche de la beauté réelle ou la laideur réelle est une recherche aussi vaine que celle qui prétendrait déterminer la douceur réelle ou l’amertume réelle.
Ceux qui ont inventé le mot charité et qui l’ont utilisé dans un sens positif ont inculqué plus clairement et beaucoup plus efficacement le précepte Sois charitable qu’un prétendu législateur ou prophète qui insérerait une telle maxime dans ses écrits. De toutes les expressions, celles qui, en même temps que leur autre sens, impliquent un degré soit de blâme, soit d’approbation, sont les moins sujettes à une dénaturation ou une méprise.
Le mot vertu, qui est équivalent dans toutes les langues, implique la louange, tout comme le mot vice implique le blâme ; et personne ne peut, sans commettre la plus manifeste et la plus grossière impropriété, donner un sens de reproche à un terme qui, dans son acception générale, est compris dans un sens positif, ou accorder des louanges là où l’idiome exige la désapprobation.
Les sentiments des hommes sur tous les genres de beautés et de laideurs sont souvent différents, même quand leur discours général est le même.
Les hommes de la connaissance la plus bornée sont capables de remarquer la différence des goûts dans le cercle étroit de leurs connaissances, même chez des personnes qui ont été éduquées sous le même gouvernement et ont été imprégnées très tôt des mêmes préjugés. Mais ceux qui sont capables d’élargir leurs vues pour contempler les nations distantes et les époques reculées sont encore plus surpris de la grande inconstance et de la grande contrariété des goûts.