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Citations sur En rade (41)

Ce silence inanimé, cet abandon qui lui avaient étreint le cœur, la nuit, n’existaient plus ; la vie terminée de ces lieux que dénonçaient des fenêtres sans rideaux ouvrant sur des corridors nus et des chambres vides semblait prête à renaître ; il allait certainement suffire d’aérer les pièces, de réveiller par des éclats de voix la sonorité endormie de ces chambres pour que le château revécût son existence arrêtée depuis des ans.
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Partout grimpaient des pampres découpés dans d’uniques pierres ; partout flambait un brasier d’incombustibles ceps, un brasier qu’alimentaient les tisons minéraux des feuilles taillées dans les lueurs différentes du vert, dans les lueurs vert-lumière de l’émeraude, prasines du péridot, glauques de l’aigue-marine, jaunâtres du zircon, céruléennes du béryl ; partout, du haut en bas, aux cimes des échalas, aux pieds des tiges, des vignes poussaient des raisins de rubis et d’améthystes, des grappes de grenats et d’amaldines, des chasselas de chrysoprases, des muscats gris d’olivines et de quartz, dardaient de fabuleuses touffes d’éclairs rouges, d’éclairs violets, d’éclairs jaunes, montaient en une escalade de fruits de feu dont la vue suggérait la vraisemblable imposture d’une vendange prête à cracher sous la vis du pressoir un moût éblouissant de flammes !
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C’était là le seul refuge sur lequel lui et sa femme pussent maintenant compter ; abandonnés par tout le monde, dès la débacle, ils pensèrent à chercher un abri, une rade, où ils pourraient jeter l’ancre et se concerter, pendant un passager armistice, avant de que rentrer à Paris pour commenter la lutte.
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Louise s’était couchée et caressait le chat étendu sur sa poitrine. Jacques, assis le coude appuyé sur la table, somnolait, l’œil perdu, la tête vague. Il se secoua, approcha les deux hautes bougies qui éclairaient avec le feu la pièce et il se prit à feuilleter quelques revues que son ami Moran lui avait envoyées de Paris, le matin même.
Un article l’intéressa et l’induisit à de longues rêveries. Quelle belle chose, se dit-il, que la science ! voilà que le professeur Selmi, de Bologne, découvre dans la putréfaction des cadavres, un alcaloïde, la ptomaïne, qui se présente à l’état d’huile incolore et répand une lente mais tenace odeur d’aubépine, de musc, de seringat, de fleur d’oranger ou de rose.
Ce sont les seules senteurs qu’on ait pu trouver jusqu’ici dans ces jus d’une économie en pourriture, mais d’autres viendront sans doute ; en attendant, pour satisfaire aux postulations d’un siècle pratique qui enterre, à Ivry, les gens sans le sou à la machine et qui utilise tout, les eaux résiduaires, les fonds de tinettes, les boyaux des charognes et les vieux os, l’on pourrait convertir les cimetières en usines qui apprêteraient sur commande, pour les familles riches, des extraits concentrés d’aïeuls, des essences d’enfants, des bouquets de pères.
Ce serait ce qu’on appelle, dans le commerce, l’article fin ; mais pour les besoins des classes laborieuses qu’il ne saurait être question de négliger, l’on adjoindrait à ces officines de luxe, de puissants laboratoires dans lesquels on préparerait la fabrication des parfums en gros ; il serait, en effet, possible de les distiller avec les restes de la fosse commune que personne ne réclame ; ce serait l’art de la parfumerie établi sur de nouvelles bases, mis à la portée de tous, ce serait l’article camelote, la parfumerie pour bazar laissée à très bon prix, puisque la matière première serait abondante et ne coûterait, pour ainsi dire, que les frais de main-d’œuvre des exhumateurs et des chimistes.
Ah ! je sais bien des femmes du peuple qui seraient heureuses d’acheter pour quelques sous des tasses entières de pommades ou des pavés de savon, à l’essence de prolétaire !
Puis quel incessant entretien du souvenir, quelle éternelle fraîcheur de la mémoire n’obtiendrait-on pas avec ces émanations sublimées de morts ! — A l’heure actuelle, lorsque de deux êtres qui s’aimèrent, l’un vient à mourir, l’autre ne peut que conserver sa photographie et, les jours de Toussaint, visiter sa tombe. Grâce à l’invention des ptomaïnes, il sera désormais permis de garder la femme qu’on adora, chez soi, dans sa poche même, à l’état volatil et spirituel, de transmuer sa bien-aimée en un flacon de sel, de la condenser à l’état de suc, de l’insérer comme une poudre dans un sachet brodé d’une douloureuse épitaphe, de la respirer, les jours de détresse, de la humer, les jours de bonheur, sur un mouchoir.
Sans compter qu’au point de vue des facéties charnelles nous serions peut-être enfin dispensés d’entendre, le moment venu, l’inévitable « appel à la mère » puisque cette dame pourrait être là, et reposer déguisée en une mouche de taffetas ou mêlée à un fard blanc, sur le sein de sa fille, alors que celle-ci se pâme, en réclamant son aide parce qu’elle est bien sûre qu’elle ne peut venir.
Ensuite, le progrès aidant, les ptomaïnes qui sont encore de redoutables toxiques, seront sans doute dans l’avenir absorbées sans aucun péril ; alors, pourquoi ne parfumerait-on pas avec leurs essences certains mets ? pourquoi n’emploierait-on pas cette huile odorante comme on se sert des essences de cannelle et d’amande, de vanille et de girofle, afin de rendre exquise la pâte de certains gâteaux ? de même que pour la parfumerie, une nouvelle voie tout à la fois économique et cordiale, s’ouvrirait pour l’art du pâtissier et du confiseur.
Enfin ces liens augustes de la famille que ces misérables temps d’irrespect desserrent et relâchent, pourraient être certainement affermis et renoués par les ptomaïnes. Il y aurait, grâce à elles, comme un rapprochement frileux d’affection, comme un coude à coude de tendresse toujours vive. Sans cesse, elles susciteraient l’instant propice pour rappeler la vie des défunts et la citer en exemple à leurs enfants dont la gourmandise maintiendra la parfaite lucidité du souvenir.
Ainsi, le Jour des Morts, le soir, dans la petite salle à manger meublée d’un buffet en bois pâle plaqué de baguettes noires, sous la lueur de la lampe rabattue sur la table par un abat-jour, la famille est assise. La mère, une brave femme, le père caissier dans une maison de commerce ou dans une banque, l’enfant tout jeune encore, récemment libéré des coqueluches et des gourmes, maté par la menace d’être privé de dessert, le mioche a enfin consenti à ne pas tapoter sa soupe avec une cuiller, à manger sa viande avec un peu de pain.
Il regarde, immobile, ses parents recueillis et muets. La bonne entre, apporte une crème aux ptomaïnes. Le matin, la mère a respectueusement tiré du secrétaire Empire, en acajou, orné d’une serrure en trèfle, la fiole bouchée à l’émeri qui contient le précieux liquide extrait des viscères décomposés de l’aïeul. Avec un compte-gouttes, elle-même a instillé quelques larmes de ce parfum qui aromatise maintenant la crème.
Les yeux de l’enfant brillent ; mais il doit, en attendant qu’on le serve, écouter les éloges du vieillard qui lui a peut-être légué, avec certains traits de physionomie, ce goût posthume de rose dont il va se repaître.
— Ah ! c’était un homme de sens rassis, un homme franc du collier et sage, que grand-papa Jules ! Il était venu en sabots à Paris et il avait toujours mis de côté, alors même qu’il ne gagnait que cent francs par mois. Ce n’est pas lui qui eût prêté de l’argent sans intérêts et sans caution ! pas si bête ; les affaires avant tout, donnant, donnant ; et puis, quel respect il témoignait aux gens riches ! — Aussi, est-il mort révéré de ses enfants, auxquels il laisse des placements de père de famille, des valeurs sûres !
— Tu te le rappelles, grand-père, mon chéri ?
— Nan, nan, grand-père ! crie le gosse qui se barbouille de crème ancestrale les joues et le nez.
— Et ta grand-mère, tu te la rappelles aussi, mon mignon ?
L’enfant réfléchit. Le jour de l’anniversaire du décès de cette brave dame, l’on prépare un gâteau de riz que l’on parfume avec l’essence corporelle de la défunte qui, par un singulier phénomène, sentait le tabac à priser lorsqu’elle vivait et qui embaume la fleur d’oranger, depuis sa mort.
— Nan, nan, aussi grand-mère ! s’écrie l’enfant.
— Et lequel tu aimais le mieux, dis, de ta grand-maman ou de ton grand-papa ?
Comme tous les mioches qui préfèrent ce qu’ils n’ont pas à ce qu’ils touchent, l’enfant songe au lointain gâteau et avoue qu’il aime mieux son aïeule ; il retend néanmoins son assiette vers le plat du grand-père.
De peur qu’il n’ait une indigestion d’amour filial, la prévoyante mère fait enlever la crème.
Quelle délicieuse et touchante scène de famille ! se dit Jacques, en se frottant les yeux. Et il se demanda, dans l’état de cervelle où il se trouvait, s’il n’avait pas rêvé, en somnolant, le nez sur la revue dont le feuilleton scientifique relatait la découverte des ptomaïnes.
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Sans doute, fit-il, surpris lui-même de la sottise de sa femme qui lui était jusqu'alors apparue moins abondante et moins ferme.
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Le fait est que ce chat, maigre ainsi qu'un cent de clous, portait la tête allongée en forme de gueule de brochet et, pour comble de disgrâce, avait les lèvres noires ; il était de robe gris cendre, ondée de rouille, une robe canaille, aux poils ternes et secs. Sa queue épilée ressemblait à une ficelle munie au bout d'une petite houppe et la peau de son ventre, qui s'était sans doute décollée dans une chute, pendait telle qu'un fanon dont les poils terreux balayaient les routes.
N'étaient ses grands yeux câlins, dans l'eau verte desquels tournoyaient sans cesse des graviers d'or, il eût été, sous son pauvre et flottant pelage, un bas fils de la race des gouttières, un chat inavouable. (p.181,182)
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Et en effet, comme la plupart des femmes, elle se sentait fouettée par cet imprévu d'un campement à la diable, d'une installation de bohémienne dressant n'importe où sa tente. Ce bonheur enfantin de la femme de rompre une habitude, de voir du nouveau, de s'ingénier à d'adroits manèges pour s'assurer un gite, obligation de simuler ce nomade perchoir d’actrice en tournée que secrètement toute bourgeoise envie, pourvu qu'il soit atténué, sans danger réel et bref, cette importance de fourrer responsable chargé d'assurer le coucher et le vivre, ce côté maternel, arrangeant la litière de l'homme qui n'a plus qu'à s'étendre, quand tout est prêt; avaient agi puissamment sur elle et rebandé ses nerfs.
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Debout il était un peu courbé, et de même que la plupart des paysans de Justiny qui ont travaillé dans les tourbières, il avait des jambes de cavalier, évidées en cercle. Au premier abord, il semblait rétrignolé, chétif, mais à regarder l'arc tendu du buste, les bras musculeux, la tenaille tannée des doigts, l'on soupçonnait la force de ce criquet que les fardeaux les plus pesants ne pouvaient plier.
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Et ces impulsions irraisonnées, morbides, sourdes, ces simulacres de tentation, ces suggestions diaboliques, pour parler comme les croyants, naissent surtout chez les malheureux dont la vie est démâtée, car c'est le propre de l'angoisse que de s'acharner sur les âmes élevées qu'elle abat, en leur insinuant des germes de pensées infâmes.
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Une alanguissante tristesse l'accabla, une tristesse autre que celle qui l'avait poigné, pendant la route.La personnalité de ses angoisses avait disparu ; elles s'étaient élargies, dilatées, avaient perdu leur essence propres, étaient sorties, en quelque sorte, de lui-même pour se combiner avec cette indicible mélancolie qu'exhalent les paysages assoupis sous le pesant repos des soirs ; cette détresse vague et noyée, excluant la réflexion, détergeant l'âme de ses transes précises, endormant les points douloureux,lénifiant la certitude des exactes souffrances par son mystère, le soulagea.
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