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Critique de Deleatur


Georges Hyvernaud a quelque chose de l'auteur maudit. Fait prisonnier en 1940, il se retrouve enfermé cinq ans dans un stalag d'officiers. C'est l'épreuve de la captivité qui nourrit sa première oeuvre, dont Raymond Guérin soutient la publication en 1949. le livre n'aura aucun succès, et pas davantage le second, le Wagon à vaches. Hyvernaud en tirera la conclusion amère qu'il vaut mieux se taire, peut-être parce qu'il pense que ses mots ne valent rien. Personnellement, je suis toujours remué par ces désarrois d'écrivains qui se résignent au silence.

Je ne vais pas revenir sur les louanges dont ce texte est enseveli depuis qu'on l'a redécouvert. Hyvernaud, qui n'a jamais rien imaginé de tel de son vivant, jouit aujourd'hui d'une notoriété à mes yeux amplement méritée. Si ce récit de captivité est très court (à peine 150 pages), il est aussi d'une densité impressionnante, où on serait bien en peine de dénicher une phrase inutile.
Comment s'étonner cependant de cet insuccès cruel, quelques années seulement après la fin de la guerre ? A l'époque, on célébrait la Résistance et pas l'armée vaincue de 1940. Les prisonniers de guerre n'étaient alors ni un objet d'étude ni un objet de commémoration. le livre d'Hyvernaud pointe bien toute l'étendue du malaise dès son premier chapitre : le récit s'ouvre en 1945 par l'inévitable repas de famille qui doit célébrer les retrouvailles. En quelques pages très cruelles, Hyvernaud démontre le caractère incommunicable de son expérience, et souligne lucidement que personne au fond n'a la moindre envie d'écouter son histoire.
De fait, la mémoire de ces prisonniers de 40 a mis plus d'un demi-siècle à se frayer un chemin dans les mentalités collectives, louvoyant à travers les centaines d'oeuvres qui célébraient inlassablement les glorieux combats de la Résistance. Certes, il y eut Jacques Perret et son inénarrable Caporal épinglé, mais ce caporal-là était plein de fantaisie narquoise et tout entier tourné vers l'évasion, d'ailleurs réussie à la fin du livre. Chez Hyvernaud, l'évasion ne semble pas même un sujet. Les caractères qui défilent sont minables, racornis sur leurs marottes dérisoires. La captivité selon Hyvernaud est l'expérience la plus crue de la promiscuité. le viol permanent de l'intimité, nous dit-il, jusqu'à ce que l'intimité devienne un mot vide de sens, et jusqu'à ce que l'être humain abdique toute dignité. La Peau et les os est ainsi un témoignage sur la façon dont la contrainte, le désoeuvrement et la vie de troupeau peuvent mener à l'écrasement de l'individu. Stalag d'officiers oblige, le processus est d'autant plus douloureux que ces braves petits-bourgeois se prenaient avant-guerre pour autant de Messieurs.

Entrecoupé de bouffées grotesques et féroces, le propos s'engloutit au fil des pages dans le pessimisme et une noirceur parfois suffocante, jusqu'à la conclusion à la fois poignante et parfaitement nihiliste. Bref, ce n'est pas forcément le genre de livre que je conseillerai à qui se trouve un peu déprimé.
Ou le contraire, en fait : le livre peut aussi aider son lecteur à relativiser pas mal de choses. Et après tout, au sortir d'une année aussi éprouvante que celle que nous venons de vivre, c'est un texte qui pousse à rechercher une lumière. Je resterai donc sur cette note optimiste pour conclure ma critique et 2020, en souhaitant une heureuse fin d'année à tous.
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