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Citations sur Convoi pour Samarcande (51)

Petit Coucou prit le sein. Retrouvant enfin du lait maternel, il s'accrocha au sein de la paysanne qu'il arrivait à peine à faire entrer dans sa bouche et se mit à téter avec rage. Il déglutissait hâtivement, bruyamment, en gémissant ; le lait faisait des bulles et coulait sur le menton du nourrisson. Parfois, il s'étouffait, grondait avec dépit, puis s'accrochait encore plus fort à la source de nourriture au-dessus de lui.
Délicatement, sans gêner Petit Coucou dans sa tétée, la paysanne sortit son deuxième sein, et y mit son bébé. Elle était assise, ses gros bras écartés comme deux ailes, chacun abritant un bébé. Ses énormes seins brillaient dans la pénombre du wagon, son visage était radieux et majestueux.
Deiev était debout à côté d'elle, incapable de détourner le regard de la femme, sentant l'odeur aigre du pain qui montait de son corps. Il avait failli lui faire des reproches pour avoir commencé trop tôt à nourrir son propre enfant, mais sa chair était si énorme et nourrissait si généreusement les bébés qu'il se retint.
La commissaire était également là et regardait. C'était à la fois gênant : Deïev avait honte (de lui ? de la paysanne impudique ?), mais il aurait voulu prolonger cette minute, comme si elle les unissait, lui et Blanche, dans la participation à quelque chose d'important et de sacré.
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Quatre mille kilomètres, c'était exactement la distance qu'allait devoir franchir le train sanitaire de Kazan au Turkestan. Le train lui-même n'existait pas encore : l'ordre de sa formation avait été signé la veille, le 9 octobre 1923. Il n'avait pas non plus de passagers, qu'il faudrait récupérer dans les foyers d'enfants et les centres d'accueil, filles et garçons, entre deux et douze ans, les plus faibles et les plus épuisés par la faim. En revanche ce convoi était déjà pourvu d'un chef : Deiïv, un vétéran de la guerre civile, un jeune. Il venait tout juste d'être nommé.
(Incipit)
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Au soir, j'avais froid. Je me suis serré contre les jambes de ma mère, mais elles ne me réchauffaient pas. J'ai pensé la couvrir avec le manteau en mouton, mais je me suis souvenu qu'au printemps on l'avait échangé contre un demi-seau de pommes de terre. Je me suis glissé sous la jupe de ma mère, j'ai étreint ses genoux, froids et durs comme de la pierre. Je lui ai fermé les yeux pour qu'ils ne souffrent pas du froid.
Le corps maternel répandait un tel froid, comme si nous étions sous terre, que j'en tremblais (...).
La jupe maternelle semblait être non en tissu, mais en givre, glacée au toucher. Son saroual aussi, et les tissus enroulés autour de ses pieds aussi. Alors, j'ai compris que le givre dans ses cheveux étaient en train de se répandre dans tout son corps, se communiquant aux choses et transformant tout autour d'elle en glace.
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Cette porte ne menait pas à une pièce, mais au balcon d'orchestre. Et elle était occupée non par des enfants, mais par des squelettes d'enfants : c'est l'impression qu'eut Dieïv en entrant. Des chiffons étaient posés sur des chaises rassemblées en bancs. Dessus, reposaient des os - des os fins, recouverts d'une peau grise et flasque. La même peau recouvrait des crânes, les visages, qui ne semblaient composés que d'une immense bouche et de deux orbites. Parfois, les os remuaient : les yeux vides s'ouvraient, les corps oscillaient mollement sur leur couchette. Le reste du temps, ils gisaient immobiles, les paupières baissées (...). C'était les grabataires, ceux que la famine avait déjà passer par des évanouissements, la fièvre et les œdèmes, et qui avaient été sous-alimentés si longtemps - pas des mois, mais des années - que leur organisme, sans être mort de la faim, s'était épuisé et rétréci à la suite du manque constant de nourriture. C'étaient les enfants qu'on ne pouvait sans doute déjà plus sauver. Au plafond, des amours de plâtre les contemplaient en souriant.
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– Neuf millions d'enfants souffrent de la famine dans la Volga. Si nous en sauvons six millions, est-ce peu ?
– Et les trois autres millions ?
– Si nous sauvons six millions d'enfants, dans vingt ans, ils en feront naître encore plus. C'est ainsi que les pays survivent, Deïev. Et que le monde survit.
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La bonté exige du courage. Elle doit avoir du culot et les dents pointues, sinon ce n’est pas de la bonté, mais de l’apitoiement.
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- Quand on te regarde, on se dit, voilà un jouvenceau. Qui a été au front, mais un jouvenceau, impulsif, sincère, mal dégrossi. Et pourtant, parfois, tu ressembles à un vieillard. Tu ne connais pas ton visage, quand nous creusons des tombes. J'en ai vu, des enterrements, à l'armée, et je connais le visage des fossoyeurs. Un homme ordinaire - soldat ou civil -a peur de la mort, il la repousse, et cette peur est toujours visible dans ses yeux. Seuls les vieillards, les très vieux, qui sont déja fatigués de vivre, n'en ont pas peur. Et toi, tu ne la crains pas. Quand tu mets les enfants en terre, c'est comme si tu t'enterrais à leur place.
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"Nous n’avons plus de nourriture depuis longtemps, aucune. Nous avons abattu le bétail et la volaille l’automne passé déjà, et aussi attrapé tous les chiens et les chats, les souris et les lézards. Ce que nous mangeons ? Toutes sortes de saletés : de l’herbe trouvée sous la neige, des branches écrasées et bouillies. Des branches de pin, des pommes de pin, de la mousse. Des glands écrasés, bouillis dans sept eaux. Les plus fous mangent même des cailloux, font des soupes de sable. Ils ont essayé de moudre du bois, mais n’ont pas pu le manger."
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La guirlande quittait Samarcande en train de s'éveiller. Trois personnes voyageaient dans le même wagon. Deïev dormait comme un ange, comme il n'avait pas réussi à le faire de tout le voyage. Fatima, qui s'était réveillée, lui caressait les cheveux, et écoutait les ronflements sonores de I'infirmier. L'homme, la femme et le vieillard partageaient un compartiment familial, et chacun savait combien les deux autres lui étaient proches et chers.
Trois personnes s'éloignaient dans des directions différentes : un homme, une femme et un garçon. Deiev dans un train vers l'ouest. Blanche dans une voiture cahotant vers le sud. Zagreïka, aveugle, avançait à tâtons le long des rails, marchant vers le nord - il cherchait son frère. Il savait qu'il ne cesserait jamais de le chercher.
À l'est, un soleil jeune et rouge montait dans le ciel, les éclairant tous.
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N'ayant aucune possession, même pas des habits ou des chaussures, privés de parents et de maison, et souvent mème de souvenirs d'enfance, les enfants n'étaient maitres que d'une chose : la langue. C'était leur richesse, leur patrie et leur mémoire. IIs l'inventaient. Ils y mettaient tout ce qu'ils avaient trouvé en chemin. Dans les mots rares, ils conservaient le souvenir de rencontres avec des inconnus venus de loin, Et ils ne laissaient pas les adultes entrer sur ce territoire.
On ne pouvait pas perdre sa langue pendant les errances. Les voyous plus âgés ne pouvaient pas vous l'enlever, ni les voleurs nocturnes. La langue ne s'usait pas comme des chaussures, ne perdait pas ses couleurs comme les habits de corps, et devenait chaque jour plus riche et plus expresive. Elle se soumettait et obéissait à son maître. Et surtout, elle ne trahissait pas, et restait toujours avec vous.
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