Soigner mon inspiration équivalait à sauvegarder un standard au-dessous duquel elle n’était plus disposée à revenir. Sans doute jugeait-elle suffisantes les années de vaches maigres passées dans un deux-pièces avec Johanna. Elle m’avait beaucoup soutenu durant cette période, je l’avoue. Cependant, je me demande ce qu’il serait advenu de notre couple si j’avais continué à ramer dans l’espoir d’un succès sans cesse reporté.
Chaque fois que je voulais me relever, ils jouaient à me faire tomber jusqu’à ce qu’on s’immobilise tous les trois, moi sur le dos, face au ciel, et eux, blottis au creux de mes épaules. Je sentais leurs cœurs battre contre mes côtes. Nous étions humides de sueur et d’eau salée. James m’a donné un bisou, Johanna aussi, James à nouveau… La guerre des bisous a commencé, ma préférée, jusqu’à ce que je leur dise d’arrêter. Ils se sont calmés peu à peu, il y avait toujours ce ciel trouble et agité au-dessus de nous.
Mon principal moteur dans l'existence, celui d'écrire des histoires, est devenu l'instrument d'une lente torture. Parce que le curseur clignotant sur mon écran dans l'attente que je lui donne une phrase en guise d'impulsion est un ressort cassé. Parce que cette phrase et ses copines censées suivre le mouvement afin de combler le vide sont à l'origine d'un univers matériel terriblement concret, celui d'un niveau de vie plus que confortable avec un tas de crédit à la clé. Un premier cercle lui-même inclus dans la reconnaissance sociale, celle d'un statut d'écrivain obtenu par le travail et la constance. Et par-dessus tout, la nécessité de me réaliser en tant qu'homme, de me sentir vivant et non pas inutile à moi-même. Eviter à tout prix le désœuvrement, cause première du passage à vide de notre couple en ce moment.
Le nu, sous la lumière crue de la banalité, peut se révéler terriblement débandant.
Les cochons mangent tout et tout se mange dans le cochon, on nous l’a assez répété.
On affirme que le cochon est intelligent. Peut-être souhaitaient-ils sortir de là, de cet enclos et de leur condition de cochon ? Symboliser l’abondance ne justifiait pas forcément qu’ils se roulent dans la merde en permanence.
Le chemin vers la reconnaissance est jalonné de tant de difficultés et de paramètres incontrôlables qu’il est sans doute nécessaire de posséder une bonne dose de naïveté mêlée d’obstination pour espérer un jour y arriver.