May your glass be ever full
May the roof over your head be always strong
And may you be in heaven
Half an hour before the devil knows you're dead
(Que ton verre soit toujours plein, que le toit sur ta tête soit toujours solide, et que tu puisses être au paradis, une demi-heure avant que le diable n'apprenne que tu sois mort)
Gommer les souvenirs qui sont la preuve de l''existence. (p.183)
Quand est-ce que ça a commencé exactement ? A partir de quand le monde s'est-il complexifié au détriment des individus ? Depuis quand la procédure et la bureaucratie ont pris le dessus sur le bon sens ?
La vie s'en fout, c'est son insolence et sa grandeur. Même vieux, usé, abattu, il ne faudrait jamais perdre l'insolence. Le fait d'être là, simplement d'être là vivant, est déjà un défi en soi.
Et si on pouvait les comptabiliser, au final, les êtres et toutes ces choses qu'on touche dans sa vie ? Que touche-t-on le plus ? Les êtres aimés ? Soi-même ? Le clavier de son ordinateur ? Son smartphone ? Le volant de sa voiture ?
Et cette proximité, cette évidence, cet espace occupé, dit, affirme et atténue le malaise : l'autre est là. L'autre existe et nous existons avec lui. Et, déjà, cet espace occupé apaise, il est le socle sur lequel tout reprendre à zéro.
Anna remonte dans sa Clio, démarre et quitte la ferme sans se retourner. Anna roule sans assurance, l'indigence appelle le risque. De toute façon, que peut-on espérer d'une époque où l'on donne le nom d'une déesse grecque à un modèle de voiture ?
Anna ne sait pas quoi faire ni comment se comporter. Cette vie est un laboratoire, un point d’interrogation : hurler, punir, chercher à comprendre ? Elle a l’impression d’être un de ces bateaux brise-glace traçant sa route au fur et à mesure, l’expérience se déploie sans aucune autre possibilité d’apprendre qu’en faisant. Et faire, dans son cas, c’est souvent se tromper.
En voulant le ranger, Léo brise le petit miroir que sa mère a laissé sur la table. Elle commence comme ça, la perte de l’innocence. Quand, par accident, on découvre que le monde n’a plus une seule et même vérité. Quand le miroir brisé nous renvoie l’image de notre visage morcelé et que l’on devient multiple. Peut-être faudrait-il accepter toutes les facettes qui nous constituent, même les plus laides. Surtout, les plus laides.