Quelque longue, périlleuse ou pénible en soit la lecture, j'ai souvent un faible pour les longs romans (comme j'en ai pour les nouvelles, tiens, allez comprendre). En effet, les longs romans bien faits me donnent toujours l'impression que l'auteur s'est donné du mal à les écrire, qu'il a adopté une vision ambitieuse de son projet et s'est employé à traduire cette vision au prix de longues heures de travail. Beaucoup plus satisfaisant donc, qu'un de ces romans commerciaux qui ne font que répondre à une même formule plus ou moins établie.
Aussi, lire un de ces types de longs romans, de surcroît écrit par le maître
Kazuo Ishiguro, génie incontesté de la littérature contemporaine (et dont je conseille vivement la lecture de deux chefs-d'oeuvre, "
Les Vestiges du jour" et "
Auprès de moi toujours"), fut pour moi un réel plaisir.
Je remarque tout d'abord le travail minutieux mené par M. Ishiguro sur la peinture d'une intrigue que l'on suit de manière scrupuleusement linéaire, comme en un long plan-séquence cinématographique. Une action, une mini-péripétie en appelle une autre, les personnages se font écho mutuellement, et tout cela se suit presque comme une scène, en temps réel, jour après jour, ce qui nous permet de nous immerger tout à fait dans l'esprit du narrateur.
Autre grand point fort du roman, c'est bien sûr son atmosphère profondément onirique. On retrouve au fil des pages de nombreux phénomènes anormaux, souvent comiques (mais pas toujours), qui nous rappelleront tous des expériences vécues dans nos propres rêves ou cauchemars : une temporalité distordue, des lieux qui se rejoignent anormalement, des déjà-vus, des situations absurdes... L'égrènement de ces événements nous plonge véritablement dans une ambiance très particulière, étrange mais paradoxalement reconnaissable. Tout appelle à l'analyse, à la décortication, comme dans un film de Kaufman ou Lynch par exemple - sans pour autant décourager le lecteur qui n'aurait pas envie de se prêter à cet exercice : l'histoire se suit du reste très aisément.
Bref, il vous faudra certainement de la résilience (... il m'a fallu 1 mois et demi...) pour achever cette prose volumineuse, mais avec une once d'ouverture d'esprit, vous vous laisserez sûrement prendre à travers ce labyrinthe narratif. Il faut accepter de se perdre en même temps que le narrateur au fil de ses péripéties saugrenues, de ne pas comprendre tout ce qui est dit en sous-main (rien de grave là-dessus !), et de respirer toute l'énergie de cet Inconsolé, dont la toute fin vous laissera, je l'espère, un grand sentiment de satisfaction.