UNE SOCIÉTÉ CIVILE CONSTRUITE EN PARALLÈLE ET PAR LE HAUT
Aux antipodes du modèle occidental marxiste ou gramscien qui autonomise la société par rapport à l’État au nom des valeurs démocratiques que défendait la première face aux velléités hégémoniques du second, le paradigme asiatique fait de l’État l'opérateur légitime et privilégié, le "grand timonier" en quelque sorte, du développement harmonieux de la société. A ce titre, il lui revient de maintenir un rapport idéalement osmotique entre les instances du pouvoir et la population par l'entremise d'organes intermédiaires qui recrutent leur adhérents par l'exaltation de valeurs holistes, tel que le don de soi pour le bien de tous, et qui, dans le même sens, ont pour principale finalité de faciliter la bonne mise en œuvre des mesures gouvernementales au sein de la population, en bref, de fluidifier le système.
(...)[exemple Indonésien: le Golkar](...)
A l'appui des propos de B. Formoso, J. Jammes ajoute comme autre exemple celui du Laos et notamment de l'ONG Lao Women's Union. Cette organisation fut fondée en 1955 par le parti révolutionnaire du peuple lao dans le but de mobiliser ses femmes, dont quelque 600 000 sont enregistrées aujourd'hui. De manière significative, cette association a été reconnue en 1991 par la Constitution, ce qui lui donne trois rôles majeurs 1) répondre au besoin de développement des femmes ; 2) promouvoir leur rôle et leur statut; 3) promouvoir une unité parmi les différents groupe ethniques et sociaux de la société laotienne. En tant que seule association reconnue, elle détient une légitimité dans la défense des droits des femmes et dans les décisions des autres ONG. La "société civile" telle qu'elle est définie dans le cadre culturel devient un enjeu et un atout du service public.
(...) [exemples birmans, thaïlandais puis la tentative de l'ASEAN de constituer un société civile régionale] (...)
M. Frolic soutient que ce genre de société civile construite par le haut n'est pas qu'une simple stratégie gouvernementale opportuniste. Elle est aussi et surtout l'expression d'un type "asiatique de développement politique". Plus fondamentalement, elle est l'aboutissement contemporain de conceptions holistes très anciennes relatives à la nature des rapports entre la société et l’État. Selon ces conceptions portées de manière convergente par les civilisations indienne et chinoises, la société et l’État participent d'une ordre sociocosmique plus général, l’État ayant pour fonction première d'assurer le développement harmonieux de la société en régulant ses rapports internes et en agissant efficacement sur les forces externes englobantes (aujourd'hui, les forces du marché et le jeu des grandes puissances, là où jadis la médiation étatique était orientée verticalement vers des forces cosmiques d'essence supérieures).