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Critique de MemoartdAdrien


La nuit est tombée. le passeur attend depuis 292 pages que je monte dans sa barque afin de rejoindre L'île du docteur Faust, au large de la Bretagne. Mais c'est au-delà de mes forces. Je n'ai jamais réussi à rentrer dans la barque. Je rentre chez moi, laissant le passeur confus et las d'avoir attendu si longtemps pour rien.

L'objectif de cet article est de vous expliquer pourquoi je n'ai pas aimé le dernier roman de Stéphanie Janicot. Néanmoins, les mêmes raisons pour lesquelles je n'ai jamais réussi à rentrer dans le livre peuvent être celles qui vous convaincront de l'acheter et de le lire. Je ne prétends donc pas que le roman soit mauvais. Mais je ne compte pas non plus me dérober en taisant ce qui m'a déplu.

Le roman relate le récit de huit femmes qui se rendent sur une île du large de la Bretagne afin d'y suivre un programme leur ayant promis de retrouver leurs vingt ans. Seule la narratrice, une romancière invitée pour accompagner les autres patientes, décide de résister à la tentation du pacte faustien.

Le roman s'articule autour du récit de la vie des différentes patientes ayant accepté de suivre le programme, et de conversations entre la narratrice et les différents personnages du roman : les autres patientes, le docteur Faust, son assistante, et le personnel de l'île.

UN STYLE ÉPURÉ ET MODERNISTE

La forme d'écriture choisie par l'auteure m'a déplu et a été un obstacle tout au long des trois centaines de pages pour que je rentre pleinement dans le récit. L'usage des dialogues est abusif. Il y en a beaucoup trop. En dehors des dialogues, le livre est écrit à la première personne, du point de vue de la narratrice. C'est une écriture qui se rapproche beaucoup trop du langage parlé, parfois excessivement familier et nous offrant des expressions désagréables à la lecture. J'ai par exemple retenu à la page 20 : "Je pouvais imaginer Notre-Dame des Naufragés nous narguer depuis la pointe du Raz" ou encore, page 29, "nous étions trop peu intimes pour partager des plats sucrés. Nous nous donnions bonne contenance".

Paradoxalement, l'importance des dialogues et du langage parlé dans le roman ne rendent pas les dialogues plus réalistes. On a parfois du mal à y croire, à les imaginer crédibles dans une conversation. Trop d'informations données dans une réplique. Trop peu de décalage entre le ton de la narration et celui du dialogue.

C'est un aspect du roman qui m'a profondément gêné. J'ai besoin de moments de pause, de moments où le narrateur semble prendre son envol afin de laisser de la distance vis à vis de l'action et de ses personnages, de moments où il en profite pour décrire le cadre, le contexte, la psychologie de ses personnages. Cela favorise l'immersion du lecteur. C'est la différence que je fais entre un roman et un script ou un scénario.

Roman rime avec temps. Malheureusement, de moins en moins de romanciers profitent de ce temps lent et favorisent la vitesse et l'efficacité du récit. Cela n'a pas que des défauts, néanmoins. le livre de Stéphanie Janicot se lit de manière très facile, fluide. La lecture n'est globalement pas désagréable, et l'on suit de manière très claire l'évolution du récit.

UNE RÉINTERPRÉTATION AMBITIEUSE DU MYTHE DE FAUST

Le mythe de Faust remonte au XVIème siècle et raconte l'histoire d'un savant qui, déçu par sa discipline, conclue un pacte avec le diable qui lui offre, en échange de son âme, la possibilité de bénéficier d'une seconde vie, tournée vers les plaisirs sensibles. Rendu célèbre par Goethe, ce conte a été réinterprété à de très nombreuses reprises dans la littérature (Balzac, Valéry, Giono...), le cinéma (Méliès, René Char), ou la musique (Wagner, Berlioz, Schumann). le roman de Stéphanie Janicot reprend ce mythe, et d'autres légendes celtes (en dehors du cadre breton, on ne comprendra jamais l'apport des légendes celtes dans ce que veut raconter le roman), au service d'interrogations sur le temps, l'amour, la création, la jeunesse éternelle, la toute puissance, l'illusion, la féminité et la force du désir (toutes ces promesses sont écrites dans la quatrième de couverture).

La particularité de ce roman est de choisir un personnage central qui refuse de pactiser avec le diable, qui refuse le programme promettant de retrouver sa jeunesse. L'objet du livre sera d'essayer, à travers les autres femmes qui, elles, ont accepté, de la faire céder à la tentation, en lui montrant toutes les vies qu'elle aurait pu avoir. C'est un roman sur la vie qui aurait pu être la sienne. L'idée est originale, mais cela ne fonctionne pas.

Là où le bât blesse, c'est qu'il y a beaucoup trop de personnages, et que l'auteure ne prend pas suffisamment le temps de montrer au lecteur le lien entre la vie d'une des femmes et le profil de la narratrice. D'ailleurs, il y a des personnages qui n'ont vraiment aucun intérêt pour le récit, et l'on se demande si leur présence est vraiment utile.

Le temps. Voilà un autre sujet essentiel du roman. Dès la page 78, la narratrice annonce la couleur : "Maîtriser le temps, accomplir nos rêves les plus sacrés, l'amour, la création, la gloire, avoir accès à l'Autre monde, tous nos grands fantasmes étaient réunis dans cette aventure". Qu'en ressort-il ? Pas grand chose, hélas ! Tous ces thèmes sont trop brièvement abordés, noyés dans une cascade de dialogues sans fin, et même la conclusion pas inintéressante de l'intrigue ne parvient pas à compenser la déception qui fut mienne au vu des ambitions affichées par le roman.

C'est un livre qui semble vouloir se rapprocher d'un conte philosophique mais qui ne parvient pas à l'être. Peut-être est-ce ce décalage entre ce que j'espérais et ce que je découvris qui me déçoit ainsi. Les réflexions de certains personnages sont parfois creuses, et empêchent le lecteur de suivre les interrogations proposées : "Admettez-le, Sydney, le plaisir que nous avons éprouvé, n'est-ce pas la seule chose qui nous appartienne pour toujours ?" (p. 130), "Pour moi, la différence ne se joue pas entre un et cinq enfants mais plutôt entre zéro et un. Entre devenir mère ou pas". Une exception cependant, page 136, lorsque la narratrice se défend d'être toujours insatisfaite, en prétendant que sans insatisfaction, l'humanité n'aurait jamais progressé. Un chapitre très intéressant, malheureusement trop rare.

En conclusion, L'île du docteur Faust n'est pas un mauvais roman. L'écriture est fluide, trop pour moi, mais le livre se lit facilement et on ne s'y ennuie pas. Les thématiques abordées sont intéressantes, mais je suis ressorti frustré car les conversations sont restées à la surface des problèmes posés. le livre ne prend pas le temps d'aller en profondeur de thèmes aussi complexes. Pour cela, il aurait fallu un roman plus long, des personnages moins nombreux, et une écriture plus psychologique, moins moderniste. Il n'en demeure pas moins que le livre est cohérent, que sa conclusion, surprenante, vaut la peine de lire le livre en entier, et que Stéphanie Janicot a eu l'immense courage de s'attaquer au mythe de Faust. On ne peut que respecter un effort aussi louable !

Pour aller plus loin avec le mythe de Faust

Dans le sculpteur, Scott McCloud manie très bien le conte de Faust à l'époque moderne, de manière subtile et très profonde à la fois, par l'entremise d'un artiste qui, pactisant avec le diable, parvient à sculpter tout ce qu'il veut. le propos est très bien utilisé. L'intrigue est excellente. Et le mythe faustien est abordé en profondeur, et interroge sur l'ubris de la toute-puissance et du prix à payer. Un excellent roman graphique que je vous recommande !
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