Citations sur Le Chevalier aux épines, tome 1 : Le Tournoi des preux (17)
C'est assez irritant de constater que vous avez beau fuir le siècle, le siècle trouve toujours un moyen de vous débusquer.
-Où diable voulez-vous en venir, cousin ?
-Qu’en condamnant votre épouse, vous les avez toutes frappées, ou peu s’en faut. Après qu’une dame d’aussi haut rang que la duchesse de Bromael a pu déchoir pour un peu de galanterie, elles se sentent toutes sur la sellette. Cela les choque, cela les inquiète ; et pis que tout, cela les indigne. Elles ne passent point une journée sans en rebattre les oreilles de leurs époux, de leurs frères, de leurs fils, de leurs amis. Elles pèsent de tout le poids de la tendresse maternelle ou des blandices amoureuses dans une querelle que vous êtes le seul à croire close. Que valent vos opportunités, vos navires et votre or face à pareille ligue ? La ruelle de ces dames fait le lit de la sédition.
Pour la plupart des gens, le temps n'est qu'un fil qu'on dévide tout au long de l'existence ; certains se contentent de filer la quenouille des saisons et des jours, la plupart en tissent l'étoffe des lignées, des rencontres et des legs. Tôt ou tard, un coup de ciseaux vint interrompre ces déroulements banals. Mirabilis en avait une toute autre vision : pour lui, le temps n'était qu'une métaphore. Il en était de cette figure comme de la vie : on pouvait lui prêter diverses couleurs et diverses tailles, beaucoup étaient fort communes ou tout à fait plates. Mais pour peu qu'on eût un grain de fantaisie, on pouvait les filer et les emberlificoter à plaisir, leur donner le tour d'un palindrome, d'un coq-à-l'âne ou d'un fatras.
Il est des créatures dont l'existence croît en fructueuses violences. En sévices soufferts autant qu'infligés, car il faut avoir reçu pour savoir donner. A la différence des braves gens que le sort brise lorsqu'il s'acharne, ces âmes-là s'épanouissent dans l'exérèse et dans l'épreuve. Ce qu'on leur retranche les augmente, la perte les nourrit et l'absence les enracine.
Le service des dames nous jette dans d'étranges traverses, poursuivit le sire de Vaumacel. Vous voici mon prisonnier pour avoir soutenu la baronne ; me voici calomnié pour avoir porté les couleurs de la duchesse. Je soutiens cependant que nous ne sommes pas à plaindre. Si nous ne combattions que pour un suzerain ou des terres, que serions-nous ? De simples vassaux. En prêtant notre bras à ces dames, si artificieuses soient-elles, nos épreuves nous élèvent. On trouve parfois plus de grandeur dans l'abaissement que dans la gloire.
Je ne connais que trop la dangereuse frénésie qui s'empare de mon âme chaque fois que je me risque dans cette librairie, et pourtant j'y cède toujours.
Le petit peuple de Goborchain se serrait au pied du dieu. On joua des coudes pour céder le passage au doyen, au chevalier ainsi qu'à son page et son écuyer. Tels [sic] des héliotropes, toutes les trognes paysannes suivaient le sire de Vaumacel. La curiosité, l'étonnement ou la servilité se peignaient sur ces figures frustes, mais nulle trace de défiance ; la rumeur du drame de Chanevier n'avait pas encore touché ce finage. Au sein de cette petite foule, on apercevait ici ou là la face creusée de quelques anciens, surtout des vieilles ; brunis d'intempéries et de soleil, les museaux des adultes respiraient la badauderie lourde des ruminants ; dans les robes des femmes, toute une garenne de marmousets clignait des quinquets ébaubis. Tandis qu'Aedan balayait du regard cette tourbe, Naimes ébouriffait la tignasse d'un marmot et le petit Coel pinçait le nez.
pp. 99-100.
Deviser de vilains au souper! On aura tout entendu!
Certes on ne craignait pas d'y trébucher sur les morts; on risquait toutefois d'y entrevoir les fantômes d'une cruelle vérité.
Oh, je n'ai jamais été un bon prêtre. Mais sur le tard, j'ai fini par cerner un peu mieux les voies de la Déesse. Elle nous instruit de l'inévitable non pour nous épargner, juste pour nous préparer.