Citations sur Tiohtiá:ke [Montréal] (62)
Autrefois, les femmes apprenaient cet art de leur mère et de leur grand-mère. Mais c’était avant que le gouvernement du Québec oblige les Inuit à abandonner leur vie nomade et les regroupe de force dans des villages où les maisons préfabriquées ont remplacé les igloos, où les motoneiges ont pris la place des traîneaux et des chiens, et où les gens noient maintenant leur mélancolie dans l’alcool, la drogue et toutes les violences que l’homme blanc a apportées dans son sillage.
Quand on a été seul pendant si longtemps, comment fait-on pour accueillir la tendresse des autres ? Comment croire qu’on peut compter pour quelqu’un ?
Ces soupers autour du feu lui offrent les moments qu’il préfère. En ce début de soirée, alors que le soleil couchant disperse des reflets rosés sur les flots argentés de la Bersimis, il fait une prière pour les animaux qui ont donné leur vie. Ainsi, chacun a sa place dans la nature. Et il a ici la sienne.
La beauté du paysage à Tadoussac est stupéfiante. Le Saguenay, puissant et austère, transporte les eaux de Pekuakami, le grand lac innu, jusqu’au golfe majestueux. Deux mondes, celui des rivières et celui de la mer, se marient au milieu de remous ombrageux et puissants.
Mary et Tracy étaient inséparables et personne n’arrivait à les distinguer l’une de l’autre, continue l’Inuk. Elles riaient tout le temps. Le fait de n’être jamais seules les rendait peut-être plus insouciantes. Souvent dans les fêtes, qui ressemblaient plus à des beuveries, les enfants se cachaient pour se faire oublier. Beaucoup de filles ont été agressées dans leur enfance ici. Je n’ai jamais su si c’était arrivé aux jumelles, mais chaque fois que les amis de notre père débarquaient avec de l’alcool, Mary et Tracy se cachaient. Un soir, elles ont surpris notre oncle dans une chambre avec une voisine de dix ans que son père avait amenée à la fête. Les hommes s’échangeaient parfois leurs enfants entre eux. C’est dégoûtant, mais ça existe.
Quand on est revenus, la baie, les collines, la rivière et les lacs étaient encore là. C’est nous qui avions changé. Le gouvernement a construit une école, forcé les Inuit à s’installer dans les bâtiments neufs qu’il a construits. Et le hameau est devenu un village. Remarque, on n’est pas les seuls qui ont vécu ça. Ç’a été pareil partout. C’est comme ça que le gouvernement a établi les quatorze communautés du Grand Nord. Les policiers ont tué nos chiens et les fonctionnaires nous ont donné des motoneiges. Comme le gibier et le poisson ne suffisaient pas à nourrir tout ce monde, les avions ont alors apporté de la nourriture du sud. Avant, survivre, c’était un travail qui occupait les gens à temps plein. A partir de là, ils n’avaient plus grand-chose à faire et ils ont commencé à boire pour passer le temps.
Pourquoi les parfums s’incrustent-ils si longtemps dans nos souvenirs alors que tout le reste s’évapore ?
Comme tant d’autres, Geronimo avait perdu son chemin sans le réaliser. « C’est comme lorsque tu marches dans le bois et que tu fais pas attention, avait-il l’habitude de dire pour raconter comment il s’était retrouvé dans la rue. Tu prends le mauvais virage. Au début, les sentiers se ressemblent. Puis tu finis par comprendre que tu t’es perdu. Tu oses pas retourner, tu te dis que tu vas t’arranger, que ça doit aboutir quelque part, mais ça mène nulle part et tu te perds pour de bon. »
Les saumons naissent dans de belles rivières aux eaux vives et limpides, comme la Bersimis. Ils y vivent jusqu’à trois ans, puis migrent vers l’océan. Ils habitent les eaux glacées profondes de l’Atlantique Nord, du Labrador jusqu’à la mer Baltique. Une fois arrivés à maturité, ils retournent à la rivière où ils ont vu le jour pour se reproduire et mourir.
Les scientifiques ignorent ce qui pousse des poissons à quitter l’eau douce pour l’océan salé. Ces mondes ne se mêlent pas. Pourtant, le poisson retrouve l’exact endroit où il est né, comme si cela était inscrit en lui.
Souvent, les filles avaient des enfants en espérant que ça leur attacherait le type duquel elles s’étaient amourachées. Parfois, un temps, le gars faisait un effort. Il disait qu’il avait des responsabilités maintenant qu’il était devenu un père de famille. Mais ces histoires ne duraient pas, en général. Certains refusaient de reconnaître l’enfant.