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EAN : 9791041411832
240 pages
Points (15/09/2023)
4.44/5   118 notes
Résumé :
Nitassinan, août 1936. Sur ordre du gouvernement canadien, tous les jeunes Innus sont arrachés à leurs familles et conduits à plus d'un millier de kilomètres, dans le pensionnat de Fort George, tenu par des religieux catholiques. Chaque jour, les coups pleuvent : tout est bon pour « tuer l'Indien dans l'enfant ».

Montréal, 2013. L'avocate Audrey Duval recherche des survivants. Dans une réserve de la Côte-Nord, elle rencontre Marie, une vieille Innue, ... >Voir plus
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D'un roman à l'autre. Dans Kukum, son touchant précédent roman, Michel Jean évoquait la sédentarisation forcée des populations autochtones du Canada avec comme corollaire l'arrachement d'enfants à leur famille, forcés à intégrer des pensionnats pour être «  civilisés », pour tuer l'indien en eux. La cousine de sa mère, Jeannette, lui avait raconté comment sa soeur avait été « volée » puis avait « disparu » au pensionnat autochtone de Fort George, à près de 1000km de chez elle. C'est cette douloureuse thématique qui au coeur de Maikan.

La tragédie s'incarne à travers trois personnages fictionnels, Charles, Marie et Virginie, trois Innus, dont on lit le destin les poings et les mâchoires serrés tellement tout révulse dans leur parcours ancré dans les années 1930 : les missionnaires catholiques qui usent de leur influence pour mystifier des parents désarmés ; l'ambiance quasi concentrationnaire du pensionnat entre numéros attribués à chacun pour les appeler, cheveux coupés, sévices moraux et physiques allant jusqu'au viol ; les lourdes séquelles qui se révèlent à l'âge adulte, de l'alcoolisme au suicide.

Beaucoup de romanciers seraient tombés dans le piège de la colère manichéenne ou du pathos larmoyant. Ce n'est jamais le cas, sans doute parce que l'écriture de Michel Jean rompt radicalement avec l'insupportable violence qui surgit très souvent des pages. Simple en apparence, en fait posée et empreinte de douceur, toujours humble, elle n'en accentue que plus l'empathie totale qui nous envahit à l'égard des personnages. Ces enfants de papier sont devenus les nôtres, quelque chose de très fort s'est noué entre eux et nous.

Et puis, il y a cette lumière qui réchauffe, comme un miracle, lorsque naissent, à la vie à la mort, amour et amitié entre ces trois-là, lorsqu'on voit l'avocate, à la recherche des survivants pour les aider à recevoir une indemnité étatique, se transformer au fur et à mesure de ces découvertes. Jusqu'au bout d'une quête de vérité qui la dépasse et la submerge.

Ce livre est absolument bouleversant. Révoltant. Marquant, de ceux qui font voir le monde différemment. Surtout, il résonne très fort avec l'actualité outre-Atlantique. Tout récemment, c'est une part sombre de l'histoire canadienne qui ressort, une histoire qui n'est pas dans les manuels scolaires. En mai 2021 ont été retrouvés les restes des corps de 215 enfants sur le site de l'ancien pensionnat autochtone de Kamloops. Et depuis, les douloureuses exhumations se multiplient, comme en juin dernier à Marieval où ce sont 751 sépultures anonymes qui réapparaissent. Michel Jean offre à tous ces enfants martyrs, les décédés comme les survivants, le plus digne des tombeaux.
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Lire ce superbe et émouvant roman s'impose comme une évidence aprés avoir découvert le non moins magnifique "Kukum" du même auteur, Michel Jean .Dans ce dernier volume cité , on assistait à la transformation du monde nomade du peuple fier et libre des Innus du Québec . La forêt disparaît , les maisons en bois remplacent les tentes en peaux et , surtout , comble de malheur , les enfants sont arrachés à leurs parents et envoyés loin , loin , là-bas , dans le terrible Fort Knox où des religieux seront chargés de leur inculquer les rudiments , voire plus , d'une nouvelle culture , tout en n'oubliant pas de leur faire renier celle inculquée par leurs ancêtres. .
C'est avec Virginie , Marie et Charles que nous allons pousser les portes de ce que l'on peut bien appeler "un triste lieu de perdition ." Qu'on se le dise , on va retrouver une atmosphère découverte cette année dans le terrible "Enragé " de Chalandon , dans " Bakhita " de Véronique Olmi ,ou dans de sinistres récits évoquant aussi , pour le creusois que je suis , la déportation des petits réunionais dans des départements en danger démographique .Vous me suivez ? Pas question , aujourd'hui , de plaisanter sur un sujet dont on savait bien , en lisant les dernières pages de "Kukum " , qu'il occupait l'esprit de l'auteur . Passons sur les conditions de vie à peine imaginables que l'on va découvrir dans ces pages et préparez- vous à pénétrer dans une humanité marquée par la plus grande noirceur de l'âme des hommes et femmes pourtant au service de Dieu , des âmes dont la plus généreuse sera celle qui se tait parcequ'elle ne veut pas voir.
En parallèle , 70 ans plus tard , c'est au tour d'Audrey , une avocate , d'entrer en scène pour tenter de renouer les fils d'une période à oublier pour certains , à comprendre pour d'autres ....
Je n'en dirai pas plus si ce n'est que , malgré sa force , sa violence , ce récit est une nécessité . L'auteur sait " raconter " la douleur , sait " présenter " les choses avec pudeur , force , mais sans pathos , laissant toujours le lecteur sur " le fil du rasoir ".
Kukum m'avait séduit par la sérénité qui se dégageait chez ces gens aux conditions de vie incroyables , amoureux de la nature , de la vie , du respect des anciens ."Maikan " , qui lui fait suite , m'a violemment interpellé et la question qui me vient à l'esprit est " pourquoi? " sorte de prélude à tous les maux qui frappent aujourd'hui de plein fouet , des sociétés dites " civilisées ".
Oui , il est nécessaire de lire "Maikan " pour ne plus fermer les yeux ou se taire . Allez, chers amis et amies , je vous dis " à bientôt " , avec un sujet plus " léger".
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Mashteuiatsh, août 1936. Si Virginie et Marie ont été ravies, deux mois auparavant, de retrouver Pekuakami et ses vastes étendues tranquilles, après un hiver dans les bois et les montagnes, elles se réjouissent du voyage qui les attend, elles et toute la communauté Innue, vers leurs territoires de chasse hivernaux, sur les rives du lac Manouane. Malheureusement, c'est un bien autre voyage qui attend les deux jeunes filles. En effet, le gouvernement canadien ayant décidé de scolariser et d'éduquer les autochtones, certain du manquement, voire de la négligence de leurs parents. Si certains sont réticents ou que d'autres tentent de s'opposer ou de refuser, ils n'ont d'autre choix que de laisser leurs progénitures s'envoler vers Fort George, un pensionnat construit très loin de là, sur une île de la baie James. Là, ces tout nouveaux pensionnaires seront nourris et logés correctement et seront instruits par des missionnaires. du moins, c'est la promesse du gouvernement canadien. C'est entre ces murs que les deux jeunes filles feront la connaissance de Charles...
Montréal, 2013. Audrey Duval est avocate et s'est donnée pour mission de retrouver certains anciens pensionnaires afin qu'ils puissent toucher les indemnisations qui leur sont, aujourd'hui, dues. Si la tâche s'avère parfois compliquée, elle va se retrouver, cette fois, face à un problème plus mystérieux. En effet, il semblerait qu'on ait perdu la trace de trois personnes, parmi sa liste. Trois personnes qui ont disparu quasiment en même temps et seule l'une d'elle a été retrouvée au bout du monde. Marie Nepton...

Maikan, qui signifie loup en Innu, est le nom que les pensionnaires de Fort George donnait aux missionnaires catholiques. Un nom qui, de prime abord, donne une idée de ce que ces enfants pouvaient subir. Et pourtant, l'on est loin de s'imaginer, de penser ou d'entrevoir ce qui se passait réellement dans ces murs. Si le sujet, dramatique et sidérant, a déjà été abordé, aussi bien en littérature pour adultes ou pour la jeunesse, Michel Jean, en tant que membre d'une famille dont plusieurs ont fréquenté ce pensionnat (et à qui, d'ailleurs, il dédie ce livre), a su, avec ses mots puissants et lourds de sens, à la fois avec une étonnante douceur et une force incommensurable, dépeindre ce que subissaient ces enfants. Des enfants que l'on sait marqués à vie. Mais malgré ces mauvais traitements, ces viols, ces maladies non soignées, ces conditions de vie difficiles, cette violence omniprésente, scintillent toutefois ces lueurs que sont l'amitié entre Marie et Virginie, l'amour entre cette dernière et Charles, cette aide et ce soutien que tente d'apporter Jimmy ou encore cette volonté farouche d'Audrey. Si Marie, Virginie et Charles sont des enfants, parmi tant d'autres, que le gouvernement canadien a voulu assimiler, Michel Jean leur a, incontestablement, redonné une âme et une identité.

150000 enfants autochtones ont fréquenté ces établissements, plus de 4000 y sont morts. le dernier pensionnat n'a fermé ses portes qu'en 1996, en Saskatchewan. Les excuses des différents gouvernements canadiens face à ce génocide culturel et les promesses d'indemnisation sont-elles réellement suffisantes ?

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Maikan signifie loup dans la langue Innue.
Mais un loup n'a pas le sadisme de la meute de loups cachés sous les soutanes !

Dans le pensionnat Fort George, à plus d'un millier de kilomètres des vastes territoires où vivaient ces indiens, au rythme de la nature, se retrouvent les enfants Innus.
Ils sont arrachés à leur famille, placés dans un environnement violent, dans le but de les assimiler de force.
Il vont perdre leur nom, se voir attribuer un numéro, doivent se plier à l'autorité catholique : tout est prétexte à subir des coups, des humiliations, des abus physiques,
moraux et abus sexuels.
Ils doivent oublier leur vie à parcourir les forêts, les bras et la tendresse de leur Kukum mais doivent tenir une lame de rasoir sur leur langue pour avoir oser parler leur langue première.
Tout est bon pour "tuer l'indien dans l'enfant" oublier leur langue maternelle.
C'est une lecture douloureuse qui fait mal, révolte.
J'ai lu le coeur serré, remplie de dégoût et révoltée face à cette cruauté. Car cette violence là, ces sévices sont infligés à des enfants, à la fragilité de l'enfance, à leur vulnérabilité !
On leur vole l'enfance, on efface leur passé rempli d'amour, de beauté et on les violente, les traite de sauvages, on empêche leurs mots, efface leur culture !
Même leurs rêves, la nuit, sont saccagés, violés !
Un véritable génocide culturel !
C'est ce que raconte ce roman, une réalité révoltante, insupportable : Un CRI d'indignation !

Audrey Duval est avocate spécialisée dans le droit des affaires. En parallèle elle se consacre à des missions bénévoles dont la recherche de trois Innus retirés à leurs familles lorsqu'ils étaient enfants. Ils devraient être indemnisés par le gouvernement canadien pour les violences subies.
Le récit alterne entre le regard des enfants dans leur environnement violent et celui d'Audrey partie à la recherche de trois vies anéanties.
Et c'est un soulagement pour le lecteur à chaque changement de chapitre !
L'auteur crée un lien entre les deux périodes 1930 d'une part et 2010 d'autre part.

C'est l'histoire de trois enfants qui furent arrachés à leur famille en 1936.
Virginie et Marie deux amies de toujours, deux inséparables, deux caractères différents la première courageuse, impétueuse, la deuxième plus craintive
Et émotive. Elles se soutiennent. L'une réconforte l'autre.
Le troisième Charles jeune garçon brave, débrouillard :
L'image du courage et de la bonté dans un monde qui en contient si peu. Entre Charles et Virginie un amour pur, immense : il adoucira les représailles d'une extrême violence qu'elle eut à subir.
Cet amour si puissant les portera vers une résistance, effaçant la peur du risque.

Ces trois enfants vont démontrer que dans l'enfer où rien ne leur est épargné, il persiste une lumière :
la fraternité, l'amour, la résistance.


Les phrases sont courtes, la plume d'une grande sensibilité : le pathos larmoyant n'a pas sa place
dans ce récit bouleversant. le texte demeure tout en retenue. C'est beau, fort et éternel !

Ce grand roman porte la puissance de l'amitié, de l'amour il porte la voix de ces 150 000 enfants !
Cette voix s'élève aussi haut que les chants de ce peuple pour se souvenir toujours et graver l'injustice dans les mémoires :
L'histoire de l'extinction d'un peuple.
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Août 1936. Alors qu'elles s'apprêtent à quitter Pointe Bleue pour entamer le périple familial qui va les ramener dans leur territoire des montagnes pour l'hiver, Marie et Virginie, deux jeunes amies adolescentes sont embarquées comme d'autres enfants de leur âge pour Fort George où elles rencontrent le jeune Charles.

Fort Georges, un bien joli nom pour un pensionnat lointain et dur, où le gouvernement canadien a décidé d'isoler les enfants autochtones « de leurs familles, pour les forcer à apprendre la langue et les manières des Blancs et ainsi les assimiler au reste de la population. » Et pour les encadrer, des religieux, qui vont rapidement montrer que les sauvages ne sont pas forcément ceux que l'on croit.

2013. Audrey Duval, avocate, recherche les rescapés de ces écoles ne s'étant pas fait connaître afin de leur restituer leur part des 1,9 Mds de dollars de compensation, octroyés par le gouvernement. Et plus particulièrement Marie, dont la trace se perd depuis des années…

Poursuivant son inlassable travail de mémoire, Michel Jean entreprend dans Maikan de rendre hommage à travers Marie, Virginie et Charles, à ces 150 000 enfants qui fréquentèrent pendant près de 20 ans ces pensionnats punitifs et criminels, destinés à « tuer l'Indien dans l'enfant ».

En sachant que sur les 139 pensionnats, 12 étaient sur le territoire du Quebec, l'auteur ne peut manquer de s'interroger : « Comment un peuple qui lutte contre l'assimilation depuis trois cents ans a-t-il pu lui-même tenter d'en acculturer un autre ? »

Comme dans Kukum, la délicatesse et la poésie mise dans chaque page de Maikan ne rend pas les châtiments et abus sexuels de ces religieux pédophiles moins abjects, mais il rend formidablement grâce au courage et à la résilience de ces enfants arrachés à leur culture, leurs terres et leur famille.

Une page d'histoire romancée et adoucie par la beauté de la relation entre ces trois ados, qui ravira les passionnés de culture amérindienne et séduira ceux qui la découvriront par ce biais le plus sombre.
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
La pelle frappe le sol, comme la hache l'arbre à abattre. Cette terre ne se laisse pas travailler facilement et l'acier s'y enfonce avec difficulté. Il creuse un coup à la fois, avec une sourde résolution. À mesure que s'ouvre le sol, il bute contre des pierres, de plus en plus nombreuses, de plus en plus grosses, qu'il extrait à la main, une à une.
Le vent du nord gifle son visage. Les effluves de sel et d'algues lui donnent la nausée. Sur ses joues, les larmes se mêlent à la sueur. Le vacarme de la mer, griffant de sa rage les rochers dégarnis, couvre le bruit de son travail.
Quand le trou est assez profond, il s'en extirpe enfin. Son regard mouillé se perd un instant au fond de la fosse. Puis il se tourne vers le vent pour le défier une dernière fois. Il voudrait hurler plus fort que l'océan, cracher son dégoût, vomir sa honte pour la jeter à la face de ce monde de roche et de sel. Mais face à l'immensité sombre et mouvante de l'océan, sa gorge d'homme de la forêt et des montagnes reste nouée.
Il hésite, puis, résigné, prend dans ses bras le corps qui gît sur le sol, vérifie une dernière fois qu'il est bien enveloppé dans l'épaisse couverture de laine qu'il a volée...
(Incipit)







(incipit)
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C'est le hasard et une bonne action qui ont conduit cette femme sophistiquée entre les murs lugubres du bureau du coroner pour identifier le cadavre d'un itinérant. Le barreau incite chaque année ses membres à accepter et à plaider sans honoraire une cause. Une forme de charité qui a l'avantage de donner accès à la justice à des gens qui n'en auraient pas les moyens. Surtout au tarif horaire exigé par Audrey. Cela permet en même temps à la profession d'avoir la conscience tranquille.
Audrey opte d'habitude pour des affaires qu'elle sait gagnées d'avance et qu'elle pourra mener rondement. Mais, cette fois, en lisant un article du Globe and mail de Toronto, elle est tombée sur une histoire qui l'a interpellée sans qu'elle ne sache trop pourquoi. Le journal racontait comment, au début du XXè siècle, les jeunes Autochtones avaient été envoyés de force par le gouvernement canadien dans des établissements d'enseignement. Au lieu de les éduquer comme on l'avait promis aux parents, les pensionnats visaient plutôt à assimiler les enfants. Le journal expliquait ainsi que plus de cent cinquante mille membres des Premières Nations, Inuit et Métis avaient été arrachés à leurs familles, délibérément coupés de leur culture et soumis à une forme de lavage de cerveau. Dans ce que le Canada appelait les pensionnats autochtones, beaucoup d'enfants avaient subis des sévices, et des agressions sexuelles.
Comme bon nombre de ses compatriotes, Audrey ignorait jusque-là que, sur cent trente-neuf pensionnats ouverts au pays, douze l'avaient été au Québec. Comment un peuple qui lutte contre l'assimilation depuis trois cents ans a-t-il pu lui-même tenter d'en acculturer un autre ? L'idée lui avait parue d'autant plus choquante que les pensionnats étaient dirigés par le même clergé qui, dans le passé, s'était imposé contre l'intégration forcée des francophones. L'article mentionnait, et cela avait frappé la curiosité de l'avocate, qu'une entente avait été conclue entre Ottawa et les Autochtones à la suite d'un recours collectif. Elle prévoyait une indemnisation totale de 1.9 milliard de dollars pour les anciens pensionnaires. Mais le journal rapportait qu'un certain nombre d'entre eux ne réclamaient pas leur dû, comme s'ils avaient disparu dans la nature.
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Elle a aussi du mal à se faire à l'idée que la vieille devant elle a bien vécu tous ces événements terribles. Cela lui rappelle quand, à ses premiers procès criminels, elle s'est retrouvée face à des victimes et à leurs agresseurs. Il lui avait été ardu d'imaginer les crimes que décrivaient témoins et victimes. Son cerveau refusait d'admettre des faits et des actes qui lui paraissaient inhumains. Elle n'arrivait pas à concevoir que la jeune femme sage aux traits délicats en train de parler devant le juge avait bel et bien été violée avec brutalité par l'homme posé, bien vêtu et rasé de près, assis dans le box des accusés. C'est une chose d'entendre des histoires d'horreur, cela en est une autre de les voir incarnées.
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Trente-trois. Le prêtre a bien expliqué que c'était maintenant son nom. Virginie sait calculer et lire un peu.
Sa mère le lui a montré pendant les longues soirées d'hiver dans leur territoire de chasse, près du lac Manouane. Son père a l'habitude de monter le campement familial pas très loin d'une haute falaise verticale. L'eau y est profonde et on y prend de grosses truites. Virginie a appris comment tracer un trou dans la glace et tendre une ligne au bout d'une branche. C'est un peu comme pour les collets; elle en installe plusieurs et revient le lendemain voir si les poissons ont mordu. Elle peut également voir si les poissons ont mordu.
Elle peut également compter jusqu'à trente-trois.
Elle trouve ridicule d'être appelée par un nombre.
Comment les chiffres peuvent-ils la définir? Ce nombre ne reflète rien d'autre que le moment où elle est descendue de l'avion et a mis le pied à Ford George.
l'homme aux cheveux rouges a dit aussi que personne ne pouvait s'exprimer en Innu sur l'île. Que ceux qui le feraient seraient punis. Mais plusieurs d'entre eux parlent peu ou pas du tout le français.
Alors tout le monde s'est tu.
Les enfants ont compris, à la façon dont il a traité la fille qui ne lui avait pas obéi en sortant de l'avion, de quoi était capable cet homme.
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Il a attendu la fermeture des lumières pour la retrouver à l'infirmerie. Elle n'est pas seule.
Charles, prêt à braver le père Rouge et tous les autres pour elle. Charles, l'image du courage et de la bonté dans un monde qui en contient si peu.
Il caresse ses cheveux coupés trop court, les lisse sur ses joues trempées de sueur. les doigts de Charles glissent entre les mèches.
Il a la douceur des hommes qui connaissent la fragilité des êtres.
Virginie referme les paupières. Elle peut dormir.
Charles veille sur elle. Dehors, le vent du nord gronde. La neige court sur l'île, vient battre les murs de bois peints du pensionnat.
La forêt d'épinettes au loin, droite et fière, frissonne.
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