Sur le fond, les passions humaines ont toujours été les mêmes. Sur leurs formes,
Patrice Jean nous en fournit une illustration contemporaine édifiante dans
Tour d'ivoire. Dans la France du XXIème siècle, les grenouilles de bénitier ont cédé la place aux pimprenelles ânonnant leurs slogans progressistes. Les notables, jadis aux premiers rangs dans les églises pour écouter la parabole des premiers qui seront derniers, ont cédé la place aux bobos promoteurs du vivre-ensemble qui se maintiennent à bonne distance de la France des relégués. Dans le domaine du divertissement auquel la littérature est assignée, celle-ci ne fait pas le poids face au reste de l'offre. Sa promotion passe désormais par sa disneylandisation puisque l'époque en a décidé ainsi.
Antoine Jourdan paie le prix fort pour son refus d'entrer dans le grand bal des nouveaux dégueulasses. Relégation sociale, misère relationnelle, sentimentale… et sexuelle, bien sûr. Lorsqu'il se lance enfin dans la danse, il se trouve vite nu. C'est que l'encanaillement ne s'improvise pas, Monsieur Jourdan. L'encanaillement est une profession de foi, un plan au long cours où chacun est récompensé à hauteur de son aptitude à la compromission et à la combinaison. Vous avez perdu, Monsieur Jourdan. Vous boirez la coupe jusqu'à la lie pour vous être détourné de la comédie humaine, quand bien même vous l'auriez jugée grotesque. Quant à vos livres et vos arts réputés beaux, vos amitiés rares, ayez l'amabilité d'emporter tout ce fatras avec vous !
Patrice Jean ne devrait pas avoir besoin de grande promotion pour figurer parmi les meilleurs auteurs de cette décennie. On le comparerait volontiers à d'autres, mais j'ai vu dans l'une de ses interviews qu'il rechigne à l'exercice. Alors je me contenterai de dire que nous avons affaire ici à un grand roman.