Malgré le petit nombre d’étudiants, gênée de poser des questions, j’attends la fin du cours, comme je le faisais en Égypte lorsqu’en année préparatoire de médecine, nous étions plus de mille. Je me dirige vers le pupitre pour demander une clarification, hésitante à cause de mon accent. Le prof allemand semble content de me voir approcher. Après avoir répondu, comme je marche vers la sortie, il me demande vers où je vais. Nous nous parlons en anglais, chacun traînant sa lourde prononciation.
Débarrassée du « bruit parasite » dans mon cerveau, j’acceptais d’avoir mal, le plus profondément possible, et il m’arrivait d’éclater en sanglots jouissifs. Ensuite, j’écoutais Beethoven sur le tourne-disque dans un coin de ma chambre. Musique et chagrin se fondaient jusqu’au courage.
Avant de quitter Le Caire, me préparant à la douleur de la séparation, j’ai écrit :
La musique m’a secourue.
Je vis, vibre avec les notes, frémis, sanglote. Chaque fois, j’ai l’impression d’avoir brûlé de l’intérieur, brûlé une partie de moi-même. Je pleure et me reconstruis chaque fois, entière. Je sors de ce feu, purifiée, nouvelle. Je lui suis reconnaissante de pouvoir vivre quelques minutes ainsi, du fond de moi-même, heureuse, retrouvée.
J’apprends qu’avant d’entreprendre les études médicales que je vise, je dois détenir une licence en sciences. Je me résigne. J’en aurai une, de licence. Médecine ou sciences, tout ce qui compte est que je sois admise. Et vite. Car les cours ont déjà commencé, et j’ai un sérieux rattrapage à faire. Heureux hasard, le professionnel responsable des admissions est originaire du Caire. Nous conversons en arabe, ma troisième langue. « Bien sûr que je parle et écris l’anglais ! » j’affirme. C’est faux. Je n’ai jamais encore parlé l’anglais couramment. J’écris à mes parents : On parle une langue étrange dans l’autobus. Le grec ?
Il me transmet quelque chose que je ne reconnais pas sur le coup. Ce quelque chose transcende mon manque de l’Égypte, sa chaleur, mes amis, ma famille. Pendant quelques minutes, je suis traversée par le sentiment qui me transportait en écoutant Beethoven. Je suis à la fois plus légère et plus ferme. J’éprouve un « gonflage ». Ce mot existe-t-il ? Je me sens comme gonflée de l’intérieur, un ballon dont le contour est plus solide, plus tendu. Le mot « courage » me vient ensuite à l’esprit.
Le courage d’un arbre ?
N’importe quelle sexualité, celle des hommes, celle des femmes, ces femmes qui se voilent là-bas peut-être par peur, plutôt que par réelle conviction, pour se conformer, pour ne pas se faire tuer. Cette oppression qui rend les hommes fous. Là-bas, comme le Voldemort de Harry Potter, le mot « sexe » est celui qu’on ne prononce pas. Au temps de ton arrivée au Québec, peu avant que la révolution sexuelle ne batte son plein, les mœurs sexuelles n’étaient probablement pas très différentes d’aujourd’hui.