Sandrine, la maîtresse d'école a fait entrer dans la classe les élèves qui jouaient dans la cour de récréation. Je les ai accueillis dans un coin de la grande pièce où j'avais disposé quelques coussins en cercle.
Aujourd'hui c'est lundi et lundi, c'est... ?
« Mais non, c'est mercredi aujourd'hui ! » s'écrièrent d'une seule et même voix tous les élèves qui s'étaient agglutinés autour de moi. »
Je fis un geste d'apaisement des mains pour calmer mon auditoire déjà surexcité. « Vous allez comprendre quand je vais commencer à vous raconter l'histoire de ce matin ». La petite Sylvie est sortie du rang pour me narguer gentiment. « Tu ne vas quand même pas nous faire avaler des élaphes ». Tout le monde a ri.
Sandrine la maîtresse d'école, d'une autorité naturelle qu'elle maitrisait bien mieux que moi, a obtenu le retour à un peu plus de calme et d'écoute. Je l'admire. C'est vraiment un métier ! Elle a demandé aux élèves de s'écarter légèrement et a invité la petite Anna à avancer au milieu du groupe. Celle-ci souhaitait nous présenter son animal de compagnie.
La petite Anna tenait dans ses mains, serrée contre elle, une petite boîte de chaussures percée de multiple trous. Elle en a soulevé le couvercle et nous avons vu apparaître un drôle d'animal. « C'est un gecko », dit-elle d'un ton malicieux en balayant de son regard l'ensemble de ses camarades, cherchant à capter leur étonnement. « Et il s'appelle Jeckyll. »
Le petit animal est venu se réfugier sur les épaules de sa propriétaire.
- C'est un drôle de nom, a fait la petite domm intriguée.
- Au début je voulais l'appeler « Lapsus », répondit la petite Anna en me décochant un regard complice, mais ce n'était pas l'année des L.
Le caméléon du petit Paul avait les yeux qui sortaient de leurs orbites et c'était peu dire.
Cette rencontre animalière tombait à pic pour introduire mon histoire. Tandis que le gecko et le caméléon s'en allaient deviser dans un coin sur le pauvre sort de l'humanité, je me suis adressé aux élèves.
« Imaginons un instant que cette classe soit un poulailler, et que vous tous, vous soyez des poules et des poulets. »
Il n'en fallait pas plus pour que chacun se mette à caqueter et battre des ailes avec leurs mains vissées sur leurs hanches. Sandrine m'a regardé en fronçant légèrement les sourcils, avec l'air de me dire que cette fois j'allais me débrouillais tout seul pour remettre de l'ordre dans la basse-cour, - pardon la classe, après tout je l'avais bien cherché.
La petite Doriane et la petite Nico sont même sorties du rang pour faire un numéro de duettiste, façon « les demoiselles de Rochefort » en mode gallinacé, sous la clameur et les applaudissements de leurs petits camarades...
J'ai attendu que le calme revienne dans l'assistance. Je n'avais pas le talent de Sandrine, ça m'a pris un peu plus de temps... Je me suis assis devant eux et j'ai commencé à ouvrir le petit album illustré pour faire venir à nous quelques personnages pittoresques…
J'avais décidé de leur raconter une nouvelle aventure avec
les P'tites Poules : Jean qui dort et Jean qui lit. Pour moi c'était aussi la découverte de cette jolie et amusante collection de petits albums illustrés pour les enfants.
« Ce soir, au poulailler, les p'tites poules sont excitées comme des puces. Carmélito le poulet rose, Coquenpâte, Coqsix, Molédecoq et les autres font un tapage de tous les diables. La petite Carmen et ses copines, elles, sont sages, de vraies images. le coeur battant, les poulettes ont les yeux fixés sur la porte d'entrée. C'est que nous sommes lundi ! Et, le lundi...
« C'est les histoires à Berni », s'écria le petit
Jean-Michel d'une voix enjouée.
- Mais non, t'as rien compris », fit la petite Onee en haussant les épaules d'un air moqueur.
Toc ! toc ! toc ! On frappe à la porte du poulailler.
Salut, les poussins !
Bonsoir, Rat Conteur ! répondent en écho les p'tites poules.
C'est lui, le vieux diseur d'histoires qui vient à l'heure attendue des contes du lundi soir. Il prend alors place sur une petite chaise qu'on lui a préparé à son intention et prononce la formule magique :
« Conte... Comté... Conti... Conta ! Petits et grands ouvrez l'oreille. Conte... Comté... Conti... Conta ! J'entrouvre mon sac à merveilles.
Il était une fois... »
« Camarade, c'est toi notre Rat Conteur du mercredi », dit la petite Gaëlle admirative.
Elle exagère un peu, bien sûr, la petite Gaëlle, mais lorsque j'ai découvert cet album l'autre jour au sein de ma médiathèque préférée, je n'ai pas pu m'empêcher d'y voir comme un clin d'oeil.
Le Rat Conteur raconte plein d'histoires qui font peur, qui font rire ou qui enchantent. Puis la soirée finie, il s'en va sous les hourras et les bravos !
Hélas, c'est sans doute la dernière fois que le Rat Conteur aura franchi ce soir-là la porte du poulailler.
« Pourquoi ? » s'exclama la petite
Anne-Sophie d'un air inquiet, craignant le pire.
En partant, il a oublié sa petite muselière avec son morceau de fromage. Aussitôt, Carmélito, Carmen et Bélino partent à sa poursuite. Ils le retrouvent, sanglotant près d'un puits. Il se confie alors à eux. Il est devenu trop vieux. Il n'a plus la force de revenir pour un prochain lundi. Il doit passer la main à son successeur. On entend alors venir du fond du puits la voix du fantôme de l'oncle Ésope, le plus grand des Rats Conteurs qui apporte la réponse « seul un autre conteur s'appelant Jean pourrait le remplacer... »
« Les petites poules seront tristes ! le Rat Conteur, trop vieux, ne viendra plus leur raconter des histoires le lundi soir, avant qu'elles aillent au nid. Il faut vite trouver ce mystérieux Jean qui pourra lui succéder...
- Mon papi s'appelle Jean, s'est alors écrié le petit Pat.
- Oui, mais ce n'est pas un rat, lui répondit la petite Chrystèle.
- Mais il sait raconter des histoires.
Où pourrait bien se trouver ce fameux Jean ? ai-je alors demandé en faisant un grand geste et en invitant les élèves à regarder autour d'eux.
L'astucieuse Carmen et son frère Carmélito, aidés de Bélino, décident le soir même de partir à la recherche du futur conteur tant convoité. Oui, mais des Jean, il en existe des centaines ! Les trois p'tites poules réussiront-elles à dénicher le bon ?
Je dois vous avouer que c'est pour moi ma première incursion dans cette collection qui met en scène de charmants gallinacés tous aussi drôles qu'attendrissants et ingénieux.
Christian Jolibois pour le scénario et le texte et Christian Heinrich pour les illustrations m'ont convaincu par leur talent conjugué, bien sûr pour nous divertir, mais aussi nous montrer l'exemple d'une petite communauté solidaire et débrouillarde pour laquelle dire, transmettre des histoires de génération en génération est aussi important que picorer du grain...
Ce récit est un vrai régal qui fourmille de trouvailles pour donner aux enfants le goût des histoires et de la lecture, le goût d'écouter des histoires et pourquoi pas les raconter un jour à son tour.
« Dis Berni, a alors demandé plus tard la petite Fanny en s'approchant timidement de moi tandis que je rassemblais mes affaires pour m'en aller, tu ne vas pas nous faire le coup du Rat Conteur, tu reviendras bien mercredi prochain, n'est-ce pas ? »
Je me suis demandé pourquoi la petite Fanny me posait cette question...