Gaëlle Josse signe avec ce joli petit ouvrage un roman sur un épisode connu de l'histoire américaine mais qui n'a pas été le sujet principal, à ma connaissance, de beaucoup de romans (seulement de quelques épisodes de romans) : le passage obligé par Ellis Island des migrants espérant s'implanter définitivement sur le sol américain.
Mais ce qui est intéressant, c'est que le point de vue n'est pas placé du côté des migrants, ces êtres chargés d'espoir arrivant sur une île où « le temps n'existe plus, (où) l'attente en est la seule mesure. (…) (où) toutes montres et horloges y ont été fracassées », où les personnes stationnant ici dans le doute « rester(ont) ici quelques heures ou de longues semaines » et ne découvriront « la durée de (leur) passage qu'heure après heure, et jour après jour » (p. 150). Non, l'auteur a donné ici la parole au directeur d'Ellis Island pendant plusieurs décennies, qui a donné sa vie à ce Moloch, cet endroit de non-vie, justement.
3 novembre 1954. John Mitchell est en train de vivre les dernières heures qui lui restent sur l'île d'Ellis Island. Les politiques d'immigration, et les moyens pour y parvenir ayant changé, le gouvernement américain a décidé de fermer la station de transit avant de la transformer en musée. Plein de mélancolie, incertain de la vie qui l'attend à New York, ville avec laquelle il a peu d'attaches, hanté par les drames dont il a été le témoin, John écrit ses mémoires. Pour s'épancher, lui le taiseux qui a toujours vécu en retrait, mais également pour tenter de trouver du sens à ses actes et mettre peut-être à distance certains démons, et celui, particulièrement vivace, qu'a laissé le passage fugace de Nella Casarini dans sa vie. Cette jeune Sarde magnétique l'a immédiatement envoûté, le faisant perdre de vue la mission à laquelle il s'est consacré avec acharnement depuis la mort de sa femme Liz. Possédé par la passion, et l'envie inexplicable de sauver la jeune femme, il s'est mal conduit, ou tout du moins maladroitement, et cette histoire se terminera par un drame, le laissant tourmenté.
L'écriture de
Gaëlle Josse est magnifique, vivante, imagée, et permet de s'immerger immédiatement dans la vie, laissée en suspens, de cet homme. Peut-être trop d'ailleurs, car, même si j'ai très apprécié la lecture de ce roman, j'ai été un peu déçue par la « minceur » de l'histoire de John. En lisant les premières lignes de son journal, je me suis imaginée qu'il avait vécu plein de choses très différentes, et au final, il nous parle des événements majeurs qu'ont constitué la vie avec Liz (et sa mort) et la rencontre avec Nella, et de trois-quatre migrants, pas plus. de même, je n'en saurai pas plus que ce que j'avais déjà appris à l'école sur les conditions de vie quotidienne des personnes attendant qu'on leur délivre la nationalité américaine, et les critères de choix : les lettres inscrites à la craie sur le bras de certains migrants n'est pas très détaillé, les 29 questions décisives expédiées. Enfin, j'ai trouvé l'épilogue maladroit et un peu superficiel, et je l'ai perçu comme étant posé là pour donner un peu de sens (positif) aux mémoires de John et terminer l'ouvrage, sans apporter au final quelque chose.
Malgré ces critiques, qui ne sont que mon humble avis (et marquée par les belles critiques de Nastasia-B, j'ai envie de rajouter : « c'est-à-dire pas grand-chose », j'espère qu'elle ne sera pas fâchée de cet hommage rendu), je recommande la lecture de ce roman, qui procurera à coup sûr un bon moment de lecture, car ce roman est beau.