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sur 1071 notes
En près de 60 ans d'existence, les guichets d'Ellis Island ont accueilli 12 millions de candidats à l'immigration fuyant la misère ou les persécutions de leurs pays.

L'île des 29 questions, auxquelles était soumis chaque migrant, fait face à Miss Liberty que tous les passagers des bateaux bondés voyaient comme l'entrée rêvée de cet Eldorado tant convoité. de ses fonctionnaires plus ou moins zélés, plus ou moins trafiquants, plus ou moins voleurs, plus ou moins voyeurs, se dégage la figure de John Mitchell, dernier occupant d'un bâtiment en fin d'activité, comme lui-même.

Des souvenirs très précis de ses 45 années de service, consignés dans son livre-journal, sont la trame de ce roman à l'écriture parfaite et maîtrisée qui insinue les détails historiques dans les personnages imaginaires.

Ce directeur, intègre en apparence, vit marqué par une tache indélébile et par une prophétie fatale. Il vaut mieux ne rien en dévoiler.

Cette histoire aurait très bien pu être le prélude à une sorte d'"Il était une fois en Amérique" mais l'auteure en a décidé autrement. 167 pages seulement mais intenses et vibrantes. A suivre assurément.

God bless America !






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Il y a « trop d'amour, trop de peine dans ces pages ».
Ce John Mitchell, je l'ai aimé tout de suite ! Un homme droit qui ne transige pas sur les principes. Un homme solide sur qui l'on peut compter. Un serviteur zélé de l'état. Un homme fragile aussi, avec ses fêlures et ses doutes. Un homme seul, incompris des autres, et mis un peu de côté. Un homme vaillant, capable par amour, par passion, de transgresser les règles et d'entrer de plein pied dans des zones obscures, dangereuses. Un homme qui a deux femmes au « creux du coeur ». Deux femmes qu'il a perdues.
En ce début du vingtième siècle, John Mitchell est cette sentinelle qui, de sa tour de guet d'Ellis Island, contrôle les innombrables vagues d'émigrants qui veulent pénétrer en Amérique pour en chasser les indésirables. Un combat de tous les instants, un corps à corps brutal contre ces hommes, ces femmes, ces enfants qui fuient la misère, viennent des quatre coins de l'Europe, ont tout abandonné, tout perdu, et rêvent en Amérique d'un avenir flamboyant.
Au soir de sa vie, John Mitchell se raconte avec amertume et sans concessions. Il tombe les masques, et cours se réchauffer auprès de ses moments de joie.

PS : Pour les personnes qui sont intéressées par ce livre, je leur conseille d'aller sur le site « derniergardiendellis.tumblr ». Vous trouverez des photos d'Ellis Island, ainsi que de ces longues files de migrants qui ont quitté leur pays. Vous les verrez dans leurs costumes traditionnels. Certaines sont saisissantes. Vous trouverez aussi de jolis poèmes et des chansons bien tristes qui racontent l'exil et la séparation.

“L'exil est rond
Un cercle, un anneau :
tes pieds en font le tour,
tu traverses la terre,
Et ce n'est pas la terre
Le jour s'éveille et
Ce n'est pas le tien,
la nuit arrive :
Il manque tes étoiles
Tu te trouves des frères,
Mais ce n'est pas ton sang.”
Pablo Neruda, Chants libre d'Amérique latine






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Il lui reste 9 jours et 9 nuits. 9 jours à errer dans les couloirs vides d'Ellis Island, à entendre ses pas résonner dans les couloirs vides. 9 jours avant que les hommes du Bureau fédéral de l'immigration débarquent ici et le ramènent à la terre ferme. 9 jours avant de devenir un retraité anonyme dans un petit appartement de Brooklyn. 9 jours pour coucher sur papier ses quelques souvenirs. Brûlants. Vertigineux. Parfois encombrants.
Il lui reste 9 jours et 9 nuits pour se rappeler ces hommes et ces femmes, voyageurs au long cours qui ont tout laissé derrière eux. Vêtus de leurs plus beaux habits, le ventre vide mais des rêves pleins la tête devant cette porte dorée...

Gaëlle Josse signe là un roman passionnant et percutant, mêlant adroitement la petite histoire dans la grande. John Mitchell, personnage intègre, droit et amoureux, se livre dans ce carnet de bord. de son épouse tant aimée, Liz, à son interprète italien Luigi Chianese, en passant par tous ces anonymes, italiens ou hongrois, désireux de poser le pied sur cette terre pleine de promesses, il sera l'éternel témoin des vies et de la politique d'immigration des Etats-Unis. L'auteur nous offre un témoignage sensible, émouvant et ô combien utile de tous ces exils. Ellis Island, personnage à part entière, domine tout au long de ce roman, hautaine et intransigeante. Gaëlle Josse, ayant écrit ce récit à son retour d'Ellis Island, a su parfaire cette ambiance si troublante. de son écriture poétique, tout en finesse et en justesse, elle nous émeut, nous happe et nous transporte bien au-delà des mers.

Rencontrez le dernier gardien d'Ellis Island...
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Choix réalisé à la suite d' une flânerie dans une de mes deux librairies préférées , attirée par le sujet et par la photographie en noir et blanc, choisie par l'auteure, en bande-annonce, je me suis décidée…

Une grande émotion à cette lecture , et je fais chorus aux critiques existantes, élogieuses, largement justifiées

Premier texte de Gaëlle Josse que je lis en deux soirées, prise « aux tripes » tant le style fluide, sobre, rend l'histoire terriblement poignante. Derniers jours de ce gardien d'un lieu ou « non-lieu » que représente Ellis Island… Il raconte ces plus de 40 ans de fonction et de responsabilités sur cette île, à « accueillir »,organiser le « contrôle » de ces millions d'émigrants, aux histoires déchirantes, et remplies de courage, aux « portes de l'Espoir »…

Je ne reviens pas sur l'intrigue, largement décrite déjà. le procédé narratif nous prend de plein fouet. John Mitchell, dernier « gardien » et responsable de ce centre de transit écrit son journal, son vécu dans ce lieu si unique et « dérangeant » ; il fait le récit de sa vie solitaire dans ce cadre qui l'a mis au carrefour de millions d'existences sur lesquels il avait un certain pouvoir. Il s'est barricadé dans ses fonctions la majeure partie de ces décennies, où ayant perdu prématurément son épouse adorée, il va se réfugier dans sa « coquille » et l'obéissance stricte aux consignes qui lui sont transmises…


Poste étrange à la fois dans la Vie et hors du monde, dans une sorte de no-man's land…Deux histoires bouleversantes où John Mitchell outrepassera ses fonctions, dérogera aux ordres, pour aider un homme à recommencer une vie dans cette Amérique si convoitée…l'autre histoire est plus troublante et dramatique, concerne la rencontre d'une femme malmenée par l'existence…vers lequel il sera irrésistiblement attiré…Cette femme partie, elle continuera de le hanter, se sentant rempli de culpabilité et de honte, d'avoir involontairement abusé de circonstances de désarroi et de précarité….

Parmi les nombreux passages soulignés, je retiens celui-ci , qui signifie subtilement les déchirements, les douleurs , les résignations, renoncements inhumains des deux côtés : les immigrants qui subissent, et les « fonctionnaires » du bon côté de la barrière, qui obéissent… mais où un jour inévitablement, toutes les souffrances qu'ils ont entrevues ressurgissent et hantent leur conscience:
« Les immigrants, dans le chaudron d'Ellis, dans ces fonts baptismaux gigantesques, ressortaient sous forme de citoyens américains, libres et égaux, priés de travailler dur, de parler anglais et d'utiliser des dollars en lieu et place de lires, de zlotys ou de roubles. Il est pourtant illusoire de penser que les hommes et les femmes qui oeuvrent à la bonne marche de cette entreprise ne sont que des pièces anonymes et substituables, et qu'à trop vouloir oublier ce qui appartient en propre à chacun, c'est un peu de notre âme que nous laissons en chemin » (p.116)

Après l'émotion de cette lecture, j'ai « obtempéré » au conseil de l'auteure, donné au tout début du livre d'aller prolonger ce texte avec des photos, des musiques qui ont précédé, accompagné l'écriture de son livre. Gaëlle Josse nous donne ainsi la possibilité de les partager, sur cet espace numérique, et de nous immerger plus avant dans l'univers qu'elle a déjà su magnifiquement créer avec ses mots.

http://www.derniergardienellis.tumblr.com


Ce très beau texte m'a donné envie d'aller plus loin et d'acquérir les travaux réalisés par Georges Perec, sur ce lieu si particulier, et le sujet délicat de tous les déracinements humains , toujours dramatiquement « actuel »…

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" Ellis island Ellis island terminus du voyage, vérifier de n'avoir rien oublié dans le bateau !!!"
Comment oublier d'où l'on vient, des milliers d'hommes de femmes d'enfants ont franchi la fameuse "porte d'or", l'ile aux vingt neuf questions.
John Mitchell le directeur en a vu passer des migrants, dans cinq jours le centre fermera ses portes ouvertes depuis 1892.
Le narrateur seul sur Ellis island écrit ses souvenirs dans son journal, ces longs convois descendants du bateau, ces cris, ces larmes , l'angoisse de l'inconnu, Liz sa chère femme infirmière au centre, et Nella l'étrangère aux mystérieux pouvoirs.
Le dernier gardien D'Ellis island de Gaëlle Josse est une petite merveille, même si le roman parle peu de ce que fût l'accueil au centre, de la façon dont furent traité ces expatriés la magnifique plume de l'écrivaine réussit à rendre John Mitchell sympathique malgré la détresse de l'homme ses défaillances et ses regrets.
Comment ne pas penser à travers ce livre aux migrants du 21ème siècle qui n'ont pas croisé John Mitchell et qui pour les plus chanceux finissent dans des centres de rétentions et d'autres qui périssent en mer comme le petit garçon mort sur une plage.
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Qui peut rester insensible à ce récit tendu, qui touche à la fois à l'intime et l'universel, poétique et historique, de l'île d'Ellis Island, située face à Manhattan, par son dernier gardien et directeur John Mitchell?, hanté par ses souvenirs, ces vies croisées, écrasées par leur destin, ces immigrés arrivés aux USA,aprés une traversée d'enfer, chassés de leur pays par la faim, la misère, la dictature ou la guerre! Cet homme remonte le cours de sa vie, écrit un journal commencé le 3 novembre 1954 pendant neuf jours, afin d'alléger et soulager sa mémoire.....il est solitaire, face à lui même, singulier, isolé, comme son île avec laquelle il a longtemps fait corps, un peu en-dehors du monde, en fin de parcours.....
Ellis Island, "La Porte d'Or rêvée", le passage obligé pour des millions d'immigrants, attirés par la fameux Rêve Américain"....des "rues pavées d'or": informations données, colportées, interprétées à l'envie dans les rues de la lointaine Naples...John Mitchell en est la mémoire vivante.. Un être avec son sens inné de la droiture, sa rigueur, sa vie de travail, sa gestion avisée et attentive mais aussi ses manques, ses deuils, ses faux pas, ses regrets , ses erreurs,un regard aiguisé à la fois mélancolique et terriblement coupable à la suite d'événements tragiques...
Comme d'habitude avec Gaëlle Josse on ressent une émotion intense à la lecture de son écriture exigeante, sans aucun pathos, fluide, précise, éclairée, sensible, fine, poétique, sobre....tout à la fois légère et travaillée....
Une lecture bouleversante , un écrit sur le passé et le présent, l'exil, le déracinement, l'immigration et le peu que nous sommes, au fond,, un beau roman d'amour et un éclairage brut sur l'arrachement, la peur de l'inconnu, sur le thème des racines familiales , la perte d'indentité, le deuil , la séparation " la nostalgie d'un monde oú la fraternité tient lieu de patrie, " toutes ces vies juxtaposés"......
Une auteure talentueuse ,qui nous touche, décrit et explore à merveille nos passions humaines..... apres Noces de neige" , "les heures silencieuses" et "Nos vie désaccordées"!
Je remercie les amis de Babelio qui me l'ont fait connaître!
Un regret , des livres trop courts .....mais ciselés .....



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Ellis Island. A l'oreille ça sonne plutôt bien, américain à souhait, dans le genre parc d'attraction qui vend du rêve. Mais popopop, ne vous y trompez pas, ici de Mickey point de museau, et pour l'American Dream on ne visitera que le hall d'entrée.

Porte d'entrée aux Etats-Unis, l'île d'Ellis (moins yankee du coup non?) est essentiellement vouée de 1892 à 1954 à l'accueil des immigrés. le récit se situe précisément neuf jours avant la fermeture définitive du site. Une page de l'histoire de l'Amérique se tourne, et John Mitchell, dernier directeur du centre d'Ellis Island, en solide et digne capitaine de bord est le dernier à quitter les lieux.
Seul sur l'île pour ces quelques derniers jours, il égrène ses souvenirs dans un ultime journal, et s'épanche sur sa laborieuse mission tout en dressant le bilan de cette vie emmurée dans un lieu aussi mythique que lugubre.

Gaëlle Josse profite de la plume de Mitchell pour subrepticement rappeler le parcours de ces migrants fraîchement débarqués à Ellis Island, de ces Européens qui fuient la guerre ou la misère. Sans dèc' ça existait déjà les migrants avant? Des Européens en plus? Naaann? 
Gaëlle Josse nous rappelle au nom de Mitchell, témoin aux premières loges, comme c'est formidable de tout quitter, quitter son toit, sa famille, ses repères, sa terre, sa culture, ses racines. Et que dire de cet indicible bonheur de s'agglutiner dans des cales malsaines de bateaux insalubres, de s'offrir une croisière où l'on peut amicalement mêler sa sueur et autres rejets organiques à ceux d'inconnus crasseux, tout en se refilant sans compter poux ou maladies infectieuses comme souvenir. Sans oublier cette joie sans nom de se faire piller ses maigres biens, derniers vestiges d'une vie passée.
Y a pas à dire, c'est drôlement chouette la vie de migrant.
Puis après quelques semaines de traversée épique, enfin l'arrivée tant attendue au Paradis, devant les mains tendues d'un peuple accueillant. Mais euh... y a pas de pot de bienvenue? Ah non, on les isole, on les parque, on les fiche. Mais heureusement 98% de ceux qui survivent seront gardés aux Younaïtid Stèts et poliment lâchés dans cette jungle inconnue au milieu de populations ravies de les voir arriver par grappes. Welcome and good luck.
Donc au mieux ce sont quelques heures sur l'île, au pire pas de souci, le cimetière est prévu sur place, aux frais de la nation bienveillante.
Pour qui en doute encore, le dernier gardien d'Ellis Island rappelle donc qu'un subit déracinement et un exil contraint de ses terres natales ne sont et ne seront jamais ni des caprices ni des choix d'hallucinés en mal d'aventures.

En réalité, je donne une place trop importante ici au sort des immigrés qui n'est qu'un sous-thème de ce récit. Mais au regard de l'actualité, c'est évidemment une partie de l'ouvrage qui marque, tant il est difficile de ne pas faire de liens avec ces malheureux d'aujourd'hui trop souvent montrés du doigt tandis qu'ils fuient l'horreur et la misère en laissant derrière eux identité et culture au profit d'un European Dream plus qu'incertain...

L'essentiel du récit est en effet davantage dédié à la confession de Mitchell qui regarde dans son rétroviseur ces années écoulées en marge de la société. Il confie son sentiment de solitude permanent, son isolement dans cette masse pourtant grouillante d'individus. Il ouvre sans tabou son coeur sur ses douleurs les plus enfouies et reconnaît, avec humilité et sincérité, les inévitables doutes quant à son difficile rôle dans la gestion de ce centre unique et hors du commun. Enfin il livre son désespoir et ses lourds regrets sur des secrets jusqu'alors inavouables. de ce directeur spartiate en apparence perce l'âme d'un homme sensible, profondément humain, confronté au sempiternel dilemme entre moralité et devoir. 

En résumé : ouvrage court, d'une écriture magistralement travaillée qui n'en reste pas moins très abordable, un style épuré sans sentiments superflus, et un sujet passionnant.
Une auteure à découvrir et dont je ne peux que conseiller la lecture.
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Depuis le temps que j'entends parler de ce livre sur la blogosphère, il devenait urgent que je le lise (d'autant plus qu'il figurait dans ma PAL). J'ai passé un moment très agréable et appris des choses.

Ce court roman (une centaine de pages) condense les ressentis des fonctionnaires de cette petite île devenue, à partir de 1892, un centre d'immigration, – passage obligé pour atteindre le Graal, les États-Unis -, mais aussi ceux de ces hommes et femmes qui fondaient tous leurs espoirs (et leurs économies) en débarquant sur ce petit bout de terre. le narrateur qui, comme le titre l'indique, est le dernier gardien (le centre ferme en 1954), dévoile ses années passées au service de l'immigration, un travail qui aura marqué sa vie.

L'écriture de Gaëlle Josse est très belle. Elle donne vie à ce centre, à ce gardien nous faisant passer par toutes les émotions… mais aussi à ces pauvres gens que l'on peut alors imaginer, entassés, faisant la queue pour subir, avant toute chose, le contrôle d'hygiène, passeport vers la terre promise. On sent à quel point la romancière s'est documentée et a assimilé cette histoire afin de nous en faire part. Un grand bravo !
Lien : https://promenadesculturelle..
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L'heure de la retraite a sonné. Une corne de brume qui s'élève dans le brouillard, le halo d'un phare au loin qui s'évapore dans ce flou obscur d'une fin de journée. Seul, il reste. le dernier "prisonnier" s'en est allé. Il a toujours vécu là ou presque, tel un gardien de phare, un gardien de prison ou un gardien du temps avec le pouvoir d'antan de laisser pénétrer les gens sur le territoire de l'Amérique. La Mérica. Dans le temps, ils avaient tous ce mot à la bouche, le regard triste et perdu, leurs souffrances se lisaient sur les rides de ces passagers qui ont vécu l'enfer pour s'arrimer jusqu'à cette île, synonyme d'espoir ou de rejet. Lui, c'est le dernier gardien d'Ellis Island.

God Bless America.

Pris d'un grand élan mélancolique, il revient sur ses longues années passées à diriger cette île, en dehors des frontières. Les bateaux accostent, des pouilleux descendent sur le quai, un long couloir, des escaliers interminables, minables photos de la misère humaine. Une odeur de pisse, de sueur âcre, de pestiférés qui se mélange au parfum iodé de la brume au-dessus des flots grisâtres se déchiquetant sur le ponton. L'ampoule du lampadaire a grillé - tiens il faudrait la changer -, la nuit se fait et se tait, le silence prend possession des lieux et l'enveloppe de toute sa splendeur. Il repense à sa femme Liz, enterrée là juste derrière, à Nella cette rencontre qui le bouleversa à jamais, à tous ces gens venus croire en lui, lui demander de l'aide - son aval pour franchir les portes du paradis. Et renaître.

J'aime quand un auteur m'embarque à partir d'un fait marqué du sceau de l'Histoire vers des lieux hantés de son imagination propre. Bien sûr, tout est inventé ou presque. Bien sûr tout est réel ou presque. Gaëlle Josse m'a débarqué sur cette île que je ne verrais jamais, mais où j'y suis maintenant et encore pour longtemps. Elle a su m'apporter de sa plume et son imagination cette passerelle qui franchit les barrières de la fiction pour la rendre presque palpable, comme cette atmosphère miséreuse qui entoure les pieds de la statue à la robe vert-de-gris. Un excellent moment littéraire, à la fois sobre et poignant, "un homme brisé, par le deuil, par la culpabilité et la dureté de sa tâche, par la solitude"...

Il y a des romans que je peux avoir du mal à lâcher, et qui peuvent rester ancrés en moi pendant longtemps. Je trouve que celui-là sied parfaitement à ces deux caractéristiques.
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Ellis Island, le 3 novembre 1954.
"Dans quelques jours, j'en aurai fini avec cette île qui a dévoré ma vie".

Ainsi commence le journal de John Mitchell, dernier gardien et directeur des lieux avant la fermeture du centre d'immigration qui, depuis le 1er janvier 1892 a vu passer quelques 12 millions de migrants ayant tout quitté pour La Merica et l'espoir d'une vie meilleure.
Resté seul quelques jours avant son départ définitif de l'île où il vient de passer 45 années, il décide de consigner ses souvenirs les plus marquants, heureux mais aussi honteux, avec une réelle justesse de ton et sans indulgence.
L'exil, la solitude, l'angoisse, la passion amoureuse et le désir violent, la transgression aussi, forment la trame de ce récit marquant qui, grâce à quelques destins individuels, dessine les contours de l'histoire d'Ellis Island.

Le lieu bien sûr est hautement symbolique, face à New-York, à l'ombre de la Statue de la Liberté, les quelques personnages choisis par Gaëlle Josse le sont tout autant et permettent d'incarner de façon percutante la rude condition d'exilé. N'oublions pas que ce site a été choisi pour isoler les migrants avant leur acceptation définitive sur le territoire américain, et permettre de leur faire subir examens médicaux et interrogatoires, en vue de refouler les malades, les criminels, les indigents, ce que le roman illustre fort bien.
"Malgré le faible nombre des refusés - mes statistiques font état de deux pour cent, pas davantage -, la hantise de se retrouver parmi les exclus provoque chez eux une indicible angoisse."

C'est donc bien "L'île de l'espoir et des larmes" que va bientôt quitter son dernier gardien et que nous fait découvrir la plume sincère et alerte de Gaëlle Josse.
Elle fait d'ailleurs écrire à John Mitchell ce qu'elle a elle-même pratiqué avec talent ici :
"Ma propre imagination a parfois servi de liant, de pont, entre des éléments manquants, fragmentaires ou incertains."

Je ne suis pas près d'oublier ce beau récit poignant qui m'a été fortement conseillé par Fanfanouche que je remercie sincèrement.
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