Citations sur Héliopolis (44)
Quand je l'accompagnais dans ses promenades géologiques, il aimait en effet à citer l'image de la section -c'est ainsi qu'à son avis l'univers, tel qu'il s'offre à nos yeux, ne représente qu'une des myriades de sections possibles. Le monde, disait-il, est comme un livre; de ses feuillets innombrables, nous ne voyons que celui auquel il est ouvert.
Il a fallu un esprit bien bas pour inventer cette machine à détruire la solitude.
Peu à peu, les parcelles s'amenuisent; le prolétariat devient universel. Le bon moyen serait d'adapter le chiffre de la population à l'héritage, au lieu de faire l'inverse. La source de toutes les guerres, civiles et étrangères, c'est le trop-plein de population."
Et si l'on faisait passer plus vite encore le temps dans son esprit, tant de naissances et de morts ressemblaient au jet d'eau qui jaillit vers le ciel, et que le vent disperse dans sa chute. Que pouvait-il bien subsister de ces cascades fugitives, si ce n'est l'arche de l'arc-en-ciel, qui s'arrondissait en elles, plus pur et plus durable que le diamant?
Ces figures mythiques que tu te donnes tant de mal à dépister, ce sont des symboles du monde élémentaire. Ce que l'esprit naïf a pressenti, en des temps et des lieux reculés, est aujourd'hui le but de la conscience sévère, ordonnée, de la science. Nous avons appliqué des organes contre l'inconnu, et le contraignons à nous servir. Nous avons frappé de notre baguette le rocher inerte, et il jaillit du quartz un flot intarissable de puissance et de richesse.
On voyait alors apparaître ces Calibans, en qui la masse reconnaissait, de prime abord, des incarnations et des idoles de la vie animale qui lui était restée. Elle les aimait dans leur faste, dans leur insolence, dans leur insatiable avidité. L'art, et surtout le film et le grand opéra, préparait le climat propice à l'épanouissement de ces types humains. Pour finir, il n'y avait plus d'ineptie, plus d'indécence, plus d'horreur qui ne déchaînât un ouragan d'enthousiasme. Alors que les ci-devant s'étaient encore cachés dans leurs résidences et leurs villas bien closes pour se livrer au luxe, au vice, à l'orgie, ces nouveaux maîtres de l'heure portaient toutes ces choses au marché et sur les places publiques, pour servir de spectacle au peuple et régaler ses yeux. Ils avaient découvert les sources de la popularité.
Voici longtemps qu'on dit le plus grand mal des moines et des couvents. Mais tu constateras que les époques où les couvents fleurissaient furent souvent aussi des époques de bonheur et de long repos, comme si la bénédiction et le calme de la vie s'étaient répandus à l'entour de ces lieux. Tout affaiblie qu'elle est par l'insuffisance, c'est pourtant une pensée suprême que de se retirer dans sa cellule pour y servir en veilleur solitaire au salut de l'ensemble.
Dans les bibliothèques aussi, on pouvait encore vivre, de même qu'une vie, passée à contempler les animaux, demeurait possible. Le trésor transmis par les civilisations anciennes avait de quoi occuper, et aussi de quoi contenter une brève vie humaine.
L'argent est la force véritable de la vie, la plus ingénieuse de ses abréviations -de là cette soif générale et dévorante de s'en rendre maître."
Ils vivaient tristement, malgré les espaces énormes qu'ils administraient; la richesse leur fondait dans la main. Les dieux s'étaient détournés d'eux. Mais il leur semblait que sommeillait dans le vin le souvenir d'âges d'or. Il leur ramenait l'abondance, comme des vagues. Au fond de la coupe, ils trouvaient l'unité; les barrières tombaient. Les temps où les hommes étaient frères se renouvelaient. On entendait monter les chants, parmi les tables dressées devant les cabanes des vignerons, on rencontrait des couples au bord ombreux des bosquets, et sur les étroits sentiers de vignobles des amis qui marchaient bras dessus bras dessous. On les entrevoyait dans des dialogues pleins de profondeur et de feu, dont le sens reliait les âmes comme un courant d'étincelles; l'esprit prenait le caractère de l'élément. Les âges et les sexes se rapprochaient.