Le chantage au suicide, quand il est bien fait, est un moyen sûr. Les femmes – surtout les jeunes – s’y laissent prendre facilement. Incroyable mais vrai. J’étais bien placée pour le savoir : un petit farceur m’avait fait le coup, peu avant mon mariage. Il est bien difficile d’expliquer ce qu’on éprouve. On a beau ne pas être entièrement dupe, se douter qu’il y a quatre-vingt-dix chances sur cent pour que ce soit du bluff, on est flattée, on est émue… Et il reste aussi les dix chances de sincérité : si c’était vrai ? Si vraiment ce garçon allait se tuer pour vous ? Son amour prend un petit goût de tragédie. On lui est reconnaissante de pimenter le quotidien. Et puis, si on ne cède pas, de deux choses l’une : ou il se tue et c’est affreux, ou il ne se tue pas et c’est humiliant. Alors que si l’on cède, on peut toujours s’imaginer qu’on lui a sauvé la vie. Une femme n’a pas si souvent l’occasion de satisfaire ainsi d’un coup sa libido, son amour-propre et sa conscience. C’est pourquoi le plus souvent, elle saute sur l’occasion.
« La meilleure manière de résister à la tentation, c’est d’y succomber. » C’est Oscar Wilde qui l’a dit, et il s’y connaissait. La meilleure manière de supprimer à Bob la tentation, c’était de le pousser à y succomber. L’Opération Suzanne m’avait déjà confirmé que son désir s’éteignait par la satiété et que la meilleure façon de le fatiguer d’une fille était de l’aider à l’avoir. On n’a jamais trouvé mieux, pour dégoûter quelqu’un de la tarte aux prunes que de le gaver de tartes aux prunes jusqu’à ce qu’il en attrape une indigestion.
Je savais ce qui séduit chez un homme, et ce qui rebute. Je savais pourquoi une fille résiste ou se donne. Pour Bob, avec mon expérience, je constituais une riche source d’informations sur la mentalité et les réactions du sexe opposé. En quelque sorte, j’étais son Honorable Correspondante. Vous penserez ce que vous voudrez, je préférais ce rôle-là à ceux de harpie mugissante ou de renifleuse résignée.
Le fait, à son âge, d’habiter chez moi, d’être entretenu par moi, lui donnait une sorte de complexe d’infériorité. Il paraît que les jeunes gens dans cette situation en ont tous. Je me demande bien pourquoi, du reste, mais c’est ainsi, et ça les rend vulnérables.
On croit s’être soigneusement préparé à l’inévitable, et quand l’inévitable arrive on se rend compte au choc et à la douleur que pendant tout ce temps-là on était resté bien persuadé que l’inévitable serait évité.
C’était trop beau pour durer. Je savais pertinemment qu’un jour ou l’autre ça changerait. C’était inévitable. Bien sûr, j’avais à peine dépassé la quarantaine, et je conservais une grande jeunesse de corps et de caractère.
Il m’avait sans doute épousée parce que c’était la seule façon de m’avoir dans son lit. Il cessa de m’aimer presque tout de suite, en admettant qu’il m’ait jamais aimée. Après un an de mariage, c’est tout juste s’il m’adressait encore la parole. Il ne se souvenait que j’étais sa femme que lorsqu’il n’avait pas une de ses maîtresses à portée de la main.
Je m’étais mariée à 20 ans. Un mariage d’amour. Mon mari était un garçon magnifique, gai, spirituel. Il frisait la trentaine et, en ce temps-là, je préférais les hommes plus âgés que moi. Ils m’inspiraient confiance. Un préjugé de petite fille. Depuis, et grâce à Bob, j’ai compris que les tout jeunes gens valent souvent mieux que les autres. On dit trop de mal des jeunes.