A soixante-dix ans, Kim Byeong-su, le narrateur, apprend qu'il est atteint de la maladie d'Alzheimer. Ce qui fait la particularité de ce héros atypique, c'est qu'il fût, jusqu'à l'âge de quarante-quatre ans, tueur en série. Il évoque ses meurtres, dont on ne connaîtra jamais les motifs profonds -sans doute parce qu'il n'y en a pas- avec la froideur d'un professionnel, précisant toutefois que tuer lui procurait du plaisir. La funeste série a débuté avec l'assassinat de son père violent, perpétré alors qu'il n'était encore qu'adolescent.
Kim Byeong-su ne s'est jamais marié, mais il a une fille adoptive, Eun-hee, avec laquelle il vit encore. C'est d'ailleurs pour la sauver qu'il se voit contraint de reprendre du service. Un meurtrier sévit dans les environs, et le vieil homme, qui pense l'avoir repéré, est persuadé que l'homme a décidé de faire de Eun-hee sa prochaine proie.
Il entame donc un combat désespéré contre le délitement de sa mémoire, une course contre le temps qui lui échappe, usant de subterfuges parfois pathétiques, dont l'efficacité ne dure jamais longtemps.
Il couche dans un carnet, comme s'il tenait le journal de bord de cette lutte forcenée avec lui-même, les souvenirs, de plus en plus nébuleux, de ses victimes, sa passion pour les philosophes antiques, des extraits des poèmes qu'il écrivit en tant qu'amateur... Cet homme peu attachant, arrogant, visiblement dénué de toute empathie, laisse filtrer son égarement et sa terreur croissants face à la fuite non seulement de sa mémoire mais aussi, bientôt, de la conscience de sa propre identité.
Se dessine également l'aveu d'un besoin de punition pour ses actes, concrétisé par un fantasme d'incarcération. Mais il sait que s'il se faisait arrêter, le délai de prescription empêcherait sa condamnation, et cela génère en lui une forme de désarroi et d'angoisse, cette impunité lui donnant le sentiment d'avoir été abandonné par la communauté des hommes. Sa maladie ne serait-elle pas finalement une chance, celle de se débarrasser à jamais de cette facette diabolique dont il semble paradoxalement ne prendre conscience qu'au moment de la perdre ?
Young-Ha Kim nous livre là un récit fort habile, efficace et pourtant complexe. Et ne vous fiez pas aux apparences : le héros n'est pas le seul à être trompé par sa mémoire défaillante...
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