J'ai découvert avec ce récit d'
Hanna Krasnapiorka un épisode méconnu de l'histoire de l'Holocauste, celui du ghetto de Minsk, ghetto qui pourtant se classe tristement deuxième, en nombre de morts, au palmarès des exactions commises par les nazis pendant la seconde guerre mondiale. 100 000 prisonniers, dont 20 000 juifs, y résident entre 1941 et 1943, année de sa destruction. Seuls 2000 à 5000 en seraient ressortis vivants.
Hanna a quinze ans lorsqu'en juillet 1941, elle s'y retrouve assignée à résidence, dans la partie juive, avec sa mère médecin et sa soeur. Elles parviendront à s'en échapper en 1942, et rejoindront les partisans.
Elle publie "
Lettres de ma mémoire" en 1984. C'est alors le seul témoignage connu en langue biélorusse sur la vie dans le ghetto de Minsk, et il reste rare, même aujourd'hui, puisque la destruction de ce ghetto a eu pour conséquence la quasi-disparition de la population et de la culture juives de Biélorussie.
Son texte est constitué d'une succession de scènes qui, s'enchaînant sans transition, évoquent son quotidien et celui de ses proches, auxquelles elle ajoute parfois les notes prises par d'autres prisonniers. La narration en acquiert un caractère d'urgence, comme si l'auteure avait voulu capter a posteriori l'immédiateté, la vérité des événements, annihiler l'espace et le temps séparant l'expérience du moment où elle la transcrit. Elle fait ainsi naître dans l'esprit du lecteur des images précises.
Le puzzle qui se dessine sous nos yeux nous immerge dans une ville mutilée par les bombardements, brûlée par les incendies. Les prisonniers s'y terrent dans des logements vidées de leurs habitants, où ils cohabitent avec d'autres, chacun ayant droit à deux mètres carrés. Certains vivent dans des caves, dormant tête bêche sur des planches superposées.
Les journées sont rythmées par la recherche de nourriture et par le travail, pour ceux qui comme Hanna sont jugés aptes à participer à l'effort de guerre. Mais elles sont surtout plombées d'une terreur permanente, qu'alimentent les rafles et les pogroms réguliers, les fusillades arbitraires auxquelles on assiste soudain, les rumeurs sur les camps de concentration où peuvent échouer les juifs et les communistes du ghetto s'ils se font arrêter par les allemands.
La mort est ainsi omniprésente, sous la forme des cadavres de ceux qu'on a jetés dans des fosses avant de les arroser d'essence, de femmes abattues ou d'enfants égorgés, des pendus qui se balancent au bout des potences. Toutes ces horreurs s'entremêlent à un quotidien par ailleurs marqué par la famine, la crasse, la promiscuité, composant un interminable cauchemar.
Mais Hanna, comme sa mère et sa soeur, ne désespèrent jamais. Focalisées sur l'impératif de survie, elles mettent tout en oeuvre pour s'en sortir. le physique aryen de la jeune femme, qui lorsqu'elle est susceptible de croiser des soldats ennemis enlève l'étoffe jaune qui la désigne comme juive, et sa parfaite maîtrise de la langue allemande lui sauvent la mise à plusieurs reprises. L'évocation d'un mariage, ou simplement les efforts d'une telle pour rester coquette, démontrent par ailleurs que beaucoup, par des gestes anodins ou des actes importants, dépassent l'effroi pour célébrer la vie. Et si certaines connaissances ferment leurs portes lorsqu'Hanna ou sa mère sollicitent leur aide, elle témoigne aussi des gestes d'entraide et de courage parfois inattendus qui les font tenir, comme ceux d'Otto, le chef d'équipe pourtant allemand qui les gardent toute une nuit à l'usine pour leur éviter un pogrom, où Ingrid, l'inconnue de l'autre côté du ghetto qui sympathise et lui offre une chemisette…
Un témoignage précieux oui, et édifiant.
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