Je suis ébloui par Simone Weil. C’est une amoureuse qui me fait peur. Je la vois traverser les champs d’Égypte ; les ciels de Grèce. Je la vois dans les usines, ces bagnes très modernes. Elle cherche quelque chose qui résiste à notre besoin incurable d’être trompé. Ce quelque chose c’est la mort. La mort est un amour aux yeux sans fond qui a regardé mon père, puis ma mère, et qui un jour me dévisagera. Un masque d’or qui très lentement se tourne vers chaque nouveau-né. Simone Weil adorait les couchers de soleil. Le jour où je verrai le masque en face, j’aurais l’âme ensanglantée de soleil et je connaîtrai alors ce qui traversait le silence des pauvres et les colères de Simone Weil – cet amour épuisant, non voulu, inaccessible et seul désirable.
Christian Bobin