C’est une banalité de dire que c’est en définitive un choix de civilisation devant lequel se trouve aujourd’hui placée l’espèce humaine. Il semble curieux de me voir ici parler de choix. Il s’agira, compte tenu d’un accès à la connaissance, d’une certaine conscience diffuse de ce vers quoi nous mènent nos comportements anciens, de la compréhension tardive des mécanismes qui les gouvernent, d’une nouvelle pression de nécessités à laquelle nous devrons obéir si l’espèce doit survivre.
J’ai reçu [des hommes] plus de choses par le livre que par la poignée de main. Le livre m’a fait connaître le meilleur d’eux-mêmes, ce qui les prolonge à travers l’Histoire, la trace qu’ils laissent derrière eux.
Sommes-nous si intéressants que nous devions infliger notre présence au monde futur à travers celle de notre progéniture ? Depuis que j’ai compris cela, rien ne m’attriste autant que cet attachement narcissique des hommes aux quelques molécules d’acide désoxyribonucléique qui sortent un jour de leurs organes génitaux.
La seule raison d'être d'un être, c'est d'être, c'est-à-dire de maintenir sa structure.
La vie quotidienne pour le plus grand nombre est ainsi remplie par un travail sans joie qui permet l'approvisionnement en substrats, et pour certains par un espoir de satisfactions narcissiques, de gratifications matérielles ou d'exercice de la dominance.
On devine ainsi la tromperie que peut constituer ce qu’il est convenu d’appeler la démocratie. L’opinion « politique » d’un individu n’exprimant le plus souvent que sa satisfaction ou son insatisfaction en fonction du niveau qu’il a atteint dans l’échelle hiérarchique, suivant l’image qu’il s’est faite de lui-même, l’opinion d’une « majorité » n’est jamais le fait d’une connaissance étendue, à la fois globalisante et analytique des problèmes socio-économiques, mais le résultat de l’intégration d’innombrables facteurs affectifs individuels et de groupe, qui trouve toujours un discours logique ensuite pour valider son existence.
La douleur morale est bel et bien une douleur physique, une amputation, sans anesthésie au sein des relations neuronales gratifiantes établies par apprentissage dans notre système nerveux.
Le seul amour qui soit vraiment humain, c'est un amour imaginaire, c'est celui après lequel on court sa vie durant, qui trouve généralement son origine dans l'être aîmé, mais qui n'en aura bientôt plus ni la taille ni la forme palpable ni la voix, pour devenir une véritable création, une image sans réalité.
(p.25)
On a dit que De Gaulle aimait la France, mais méprisait les Français. Il aimait la conception imaginaire qu'il s'était faite de la France. L'artiste préférait son oeuvre au modèle imposé par la réalité.
(P.27)
Si l'autre vous cherche, ce n'est pas souvent pour vous trouver, mais pour se trouver lui-même.
(p.29)
Il y a plusieurs façons de fuir. Certains utilisent les drogues dites « psychotogènes ». D’autres la psychose. D’autres le suicide. D’autres la navigation en solitaire. Il y a peut-être une autre façon encore : fuir dans un monde qui n’est pas dans un monde, le monde de l’imaginaire.
Finalement, on peut se demander si le problème du bonheur n'est pas un faux problème. L'absence de souffrances ne suffit pas à l'assurer. Mais lorsqu'il l'est, le désir disparait et le bonheur avec lui. Il ne reste donc qu'une perpétuelle construction imaginaire capable d'allumer le désir et le bonheuir consiste peut-être à savoir s'en contenter. Or, nos sociétés modernes ont supprimé l'imaginaire s'il ne s'exerce pas au profit de l'innovation technique .
(P.100-101)