Certains objets sans valeur nous sont intimement précieux. Ils témoignent d’un être, d’un amour, d’un lieu qui n’est plus. On ne peut supporter l’idée de les perdre, mais on a du mal à les regarder, tant leur pouvoir d’évocation est puissant. On les conserve au secret, dans une boîte, une enveloppe, en lisière de mémoire.
Tout, ici, se veut plus vrai que vrai or tout est faux, sauf l’absence. Elle accable, c’est un bourdonnement obsédant, strident. L’appartement des Frank est le décor d’un drame sans acteur, c’est un musée sans visiteurs.
Naître après, c’est vivre en dette perpétuelle. Chaque enfant sera un miracle. Il aura le devoir d’être sur-vivant.
Nous sommes les enfants des romans que nous avons aimés, ils se déposent au creux de nos peines, de nos manques, ils contiennent tout ce qui se dérobe à nous, qui passe sans qu'on ait pu le comprendre, nous sommes faits d'histoires qui ne nous appartiennent pas, elles nous irriguent et nous hantent.
Ce livre est un décompte, auquel nous assistons. Nous en redoutons l’issue, nous savons qu’après le 4 août, date de l’arrestation des Frank, il n’y aura plus de mots. Ce livre, nous en connaissons la fin ; l’autrice, elle, l’ignore.
Ecrire est un engagement à ferrailler. On s'engage dans l'écriture comme dans une armée imaginaire, où l'on serait à la fois général et aspirant soldat.
[…] a-t-on pour toujours l’âge auquel on cesse de vivre ?
Anne Frank désirait être lue, pas vénérée. Hannah Arendt qualifiait l’adoration dont elle est l’objet de « sentimentalisme bon marché aux dépens d’une immense catastrophe« »… Elle n’est pas une sainte. Pas un symbole. Son Journal est l’œuvre d’une jeune fille victime d’un génocide, perpétré dans l’indifférence absolue de tous ceux qui savaient.
Je n'ai rien fait, clament les enfants qu'on accuse injustement.
Je n'ai rien fait, savent les adultes qui passent leur chemin.
Il faudrait relire régulièrement son journal pour rester à la hauteur de son adolescence.