Pendant deux ans, enfermé dans le cercle de son chagrin, il s'est méthodiquement appliqué à vieillir. Il a vécu suspendu à un fil invisible, sans relever la tête, sans se soucier de personne, occupé à ses petites affaires et à ses tracas, en renonçant à tout le reste comme s'il cherchait à s'éteindre. (p.14)
C'est à la fois quelque chose de très fort et d'inévitable. Ce qui l'étonne d'ailleurs ce n'est pas que ce soit aussi fort, mais que ce soit aussi inévitable.
Il a beau se torturer la mémoire, il ne retrouve plus rien, aucun son, aucune image. Comme si sa conscience avait effacé la scène pour qu'il la recommence.Pour que la dernière fois revienne encore une fois.
Quand Nora a été installé sur lui, qu'il a senti la palpitation des muscles de son ventre, il s'est légèrement redressé sur les mains pour lécher sur sa peau les petites rigoles de sueur qui descendaient de son cou et de ses épaules comme une pluie printanière.
Deux ans plus tard, il est encore assoiffé.
Mais les bords de mer ont cet avantage, découvre t-elle, qu'on peut continuer à marcher indéfiniment sans jamais prendre de décision.
Blériot se réveille pour de bon en reconnaissant la périphérie de Millau, son viaduc, son autoroute engorgée, ses maisons tristes et ses publicités pour les hamburgers à l'horizon qui excitent la convoitise des enfants et démoralisent les animaux.
Blériot ne sait pas quand ils ont commencé à s’éloigner l’un de l’autre. Le jour où il s’en est aperçu, c’était déjà fait.
Ils remontent alors le boulevard sans se presser, Nora pendue à son bras comme s’ils étaient mari et femme, l’un marchant bouche ouverte pour avaler le bonheur, et l’autre - c’est évidemment lui - bouché fermée pour l’empêcher de s’échapper.
En fait, c’est moins son absence qui l’effraie que son silence.
Il ne restera plus rien de leur vie commune, absolument plus rien, comme si la rencontre de leurs deux trajectoires n'avait été qu'une illusion d'optique.