Col de la Rousse, novembre 1833. C'est ce chemin qu'emprunte, par tous les temps, Fortuné Chabert, colporteur en écriture, autrement dit instituteur itinérant. Et ce sont surtout pendant ces longs mois d'hiver qu'il se rend auprès des enfants, alors non assujettis aux travaux des champs. Trois plumes ornent son chapeau car son savoir est triple : lecture, écriture et chiffres. Alors qu'il se rend au hameau des Guions, où, comme à chaque fois, les parents lui fournissent gîte, couverts et salle de classe, il est malheureusement sommé, par le curé, de quitter les lieux, sous prétexte qu'il n'a pas à faire classe aux filles, pour qui seul doit compter la lecture du catéchisme. Et la loi de Guizot, alors ministre de l'instruction publique, impose désormais d'avoir un brevet pour pouvoir enseigner. Sonné et anéanti, Fortuné laisse s'envoler ses trois plumes et décide de devenir colporteur de livres...
En 2018, en Afghanistan, dans la province du Pandjchir, Sanjar parcourt les montagnes, un tableau noir sur le dos, pour enseigner aux enfants. Malheureusement, sa présence n'est plus souhaitée. le nouveau mollah a, en effet, décrété qu'il n'y aura plus qu'une école coranique et donc que les filles n'iront plus à l'école. Chassé à coup de pierre, il deviendra fixeur pour l'armée américaine. Son chemin croisera celui d'Arizona Florès, journaliste au Phoenix Post qui fait un reportage sur les femmes de ce pays...
Des Alpes enneigées aux villages arides d'Afghanistan, en passant par Phoenix, ville grouillante, du début du 19ème siècle à nos jours, Lax nous offre une saga mettant en lumière l'éducation, la culture et la transmission du savoir mais également l'hostilité et le refus d'une partie du monde (la plupart étant des hommes) à cette transmission qui voit en l'instruction une puissance extérieure, une force, une certaine forme d'émancipation... de Fortuné Chabert, colporteur malheureux qui finira chez les Hopis à Sanjar, qui se bat pour instruire les enfants des villages, en passant par Arizona, jeune journaliste qui dénonce la violence à l'école et le lobbying des armes et qui va tenter de montrer au monde ce qui se passe au pays des Talibans, tous ces personnages, volontaires, téméraires et parfaitement crédibles, portent haut ces valeurs que sont le droit au savoir et à l'éducation. Bien que fictionnel,
L'université des chèvres est basé sur des faits réels, Lax s'étant fort documenté afin de rendre hommage à tous ces enseignants de tous pays. Tragique et sensible, habile par sa mise en scène, cet album regorge avant tout d'une profonde humanité. Graphiquement, Lax, par son trait délicat et subtil, parfois épuré, donne à voir de magnifiques paysages, que ce soit ces montagnes enneigées ou ces déserts américains, et de profonds portraits. Sa palette de couleur, douce et harmonieuse, met parfaitement en lumière ce récit original et fort.