LE LONG ET SINUEUX CHEMIN VERS LA SAGESSE
Avec
Planète d'exil se poursuit, magistralement, le Cycle de Hain entamé avec le très SFFF "
Le monde de Rocannon".
Nous ne sommes plus sur la planète du premier volume, même si le lien est bien réalisé, sous la forme d'un savoir livresque traversant les âges. Ayant donc quitté pour toujours la seconde planète de Fomalhaut, nous voici désormais sur Werrel, planète du système de Gamma Draconis III. Bien que colonisée -selon les règles très strictes de la Ligue de Tous les Mondes- avec tous le respect possible envers les habitants originaires de cette planète, ceux-ci, réduits à quelques deux milliers d'âmes après que l'essentiels d'entre eux durent partir à l'aide de la Ligue attaquée par un ennemi d'un très grand danger, prenant pour cela le seul vaisseau équipé de l'ansible (technique permettant une communication instantanée entre n'importe quel point de l'univers). Voici donc nos colons totalement esseulés sur cette
Planète d'exil, et sans aucun moyen de savoir s'ils sont les ultimes survivants de la Ligue ou seulement oubliés dans leur éloignement intergalactique. Esseulés, ils le sont doublement puisque les peuples indigènes, au développement cérébral sensiblement identique aux colons mais dont les us et coutumes, les tabous, les rites, l'enfermement intellectuel, les développements technologiques et humains les renvoient à quelque chose de sensiblement identique à notre ancien âge de fer, âge barbare ou compte d'abord la communauté clanique, amassée autour de son chef, bien avant l'individu lui-même, ces peuplades, donc, considèrent les colons comme des "hors-venus" et rejettent tout apport possible de leur part, jusqu'au simple usage de la roue que ces derniers n'auront pas su leur transmettre en six cent longues années d'exil. Et encore est-ce là pour la moins belliqueuse des deux populations d'origines, semi-nomade, et se terrant dans des sortes de villes-terrier tout au long de l'interminable hiver -quinze de nos années terriennes-, de cette planète. L'autre peuplade, les "Gaals", est constituée de hordes sauvages et totalement nomades accomplissant tous les 45 ans -âge terrien- leur "sudation", c'est à dire leur descente anarchique et violente vers un sud mieux veillant.
Hélas pour les semi-nomades et les Hors-venus, les temps semblent changer et, pour une fois dans les annales, ces hordes disparates semblent s'être trouvées un chef et s'attaquent désormais systématiquement à ces villes de boues et de paille, massacrant tous les hommes, menant en esclavage femmes et enfants, se saisissant de tout ce qui est utile et mangeable.
Pressentant le danger et comprenant leur propre faiblesse (la loi de la Ligue leur impose de se battre à armes égales en cas de défense), Jacob Agat Autreterre, l'un des membres les plus éminents du conseil des Autreterriens comme ils se nomment eux-mêmes décide de proposer une alliance avec les humains de la ville-clapier la plus proche. Hélas, ce dernier est, en dépit de toutes les différences et impossibles, tombé amoureux d'une autochtone, Rolerie, fille du chef Wold, avec laquelle il semble pouvoir échanger par l'esprit. Phénomène qui semblait impossible jusque là entre deux races humanoïdes différentes. Mais, tandis que l'alliance semblait en bonne voie, grâce au charisme imposant de ce vieux chef dont c'est, privilège rare, le second hiver, tout espoir tombe à l'eau lorsque son propre petit fils, opposé à ce pacte contre nature, comprend qu'Agat est parti rejoindre Rolerie, et part en chasse en compagnie de quelques uns de ses affidés afin de tuer le Hors-venu.
Agat sera sauvé in-extremis mais c'en est fini des espoirs d'entente contre l'ennemi commun. La ville d'hiver sera entièrement détruite par les quelques 60 000 guerriers Gaals. Seuls quelques-uns de ses habitants seront sauvés au cours d'un raid aussi désespéré qu'audacieux organisé par Jacob Agat et les autreterriens (sauvant ainsi le vieux chef déchu). Ne reste alors plus à ces survivants qu'à se replier, à se défendre corps et âme dans leur propre cité de pierre et de cuivre, et à attendre, pourquoi pas, un improbable miracle...
Second volet de ce cycle pour le moins riche et étonnant,
Planète d'exil est d'une construction plus serrée, plus aboutie en quelque sorte que le premier opus (déjà fort réussi !), l'ensemble étant servi par un style à nul autre pareil, sobre et poétique, précis mais no dénué d'onirisme, tour à tour rugueux, maternel, envoûtant.
Ursula K. le Guin, grande humaniste devant l'éternel, nous y conte la différence entre les peuples et les cultures, aborde la complexité, les presque impossibles, aussi, sans la pression des événements qui peuvent disjoindre des cultures proches en terme de géographie mais inconciliables dans les faits, au moins en apparence et tant que rien n'est véritablement tenté pour associer ses forces au détriment de ses faiblesses, de ses certitudes, de ses égoïsmes. Mais qu'il s'agisse de la survie de l'ensemble de la communauté et toutes ces barrières, tous ces interdits -ces vastes bêtises auxquelles l'homme donne parfois pour nom : tabou, tradition, respect des coutumes, religion, etc comme sinistre cache-sexe à l'immuable peur de l'autre dans ce qu'il a de différent - tout cela peut tomber comme un vulgaire château de carte pour engendrer, au propre comme au figuré, un bel avenir commun !