Aujourd’hui, belle-maman (qu’est toujours moche comme tout) nous a annoncé qu’on avait plus le sou. Rien ! Tintin ! Pas l’once d’un fifrelin ! Mais moi qui ne suis pas plus haut que le pouce, y’a des secrets que je suis seul à connaître.
À l'aube, père nous a réveillés et nous avons pris une bonne bouffée d'air comme petit déjeuner. Puis pour la route, histoire d'avoir un casse-croûte, belle-maman nous a donné du vent :
"Au moins, ça ne vous gâtera pas les dents", a-t-elle ricané.
On s'est mis en rang. Père tout juste suivi de Popette ( le petit nom de belle-maman). Puis Barnabé, le plus âgé, suivi de Bertrand, le plus grand. Boris la Saucisse, le plus bête des six, encadré par les deux jumeaux Basile et Blaise pour éviter qu'il ne s'égare. Enfin Balthazar, toujours en retard, qui courait derrière. Et moi qui fermais la marche, abandonnant très régulièrement, tous les vingt-neuf pas exactement, un caillou blanc sur le bord du chemin.
Pour m'occuper le reste de la soirée, j'ai commencé à noter ma collection de joies remarquables (cent quatre-vingt-treize pour l'instant) et de peines détestables (deux cent cinquante six).
Joie remarquable n° 1 :
Quand on se lève le matin, qu'il y a du soleil, qu'il n'y a pas école, et qu'on a l'espoir qu'il va se passer quelque chose d'extraordinaire.
Peine détestable n°3 :
Quand je rêve de Maman et qu'au réveil je me rends compte que ce n'était qu'un rêve.
Le soir, j'ai entendu crier.
Je n'aime pas ça, déjà que Popette est méchante comme la gale en temps normal, quand elle se fâche, elle est pire qu'un sanglier en détresse à qui on aurait accroché un pétard aux fesses.
Comme le ciel était calme, et qu'on ne trouvait même pas un brin de vent à se mettre sous la dent, Boris a essayé de faire des courants d'air en ouvrant la fenêtre et la porte de derrière.
Tout ce qu'il a réussi à attraper, c'est une taloche de belle-maman qui en avait assez d'entendre les portes claquer. Elle nous a dit qu'on n'avait qu'à chercher des nèfles ou des clopinettes, mais même ça, on n'en a pas trouvé, visiblement, ce n'est pas la saison.
Je les ai laissés mariner un bon moment, j'attendais, installé sur un tronc en sifflotant un air de java, jusqu'à ce que Barnabé, le plus âgé, remarque mon insouciance : " Eh, regardez Poucet ! C'est le plus petit et pourtant, c'est le plus courageux !" Tous mes frères ont cessé de sangloter.
Comme je m'ennuie, je réfléchis.
Et je me suis dit, dans la vie, plutôt que de faire les choses les unes après les autres, on devrait pouvoir les accumuler, histoire de s'en débarrasser en une seule fois.