Une magnifique et fascinante saga familiale sur fond d'histoire coréenne et japonaise de 1910 à 1989.
Dans la Corée des années 20, occupée par le Japon, une jeune femme pauvre, Sunja, enceinte d'un homme marié, accepte d'épouser un pasteur chrétien qu'elle ne connaît presque pas et le suit au Japon où il rejoint son frère. Nous entrons alors dans la vie et l'intimité de cette famille sur quatre générations.
Les personnages sont bouleversants d'humanité, au prise avec l'exil, la négation de leur culture, le rejet et le racisme; le fondement de leur résistance, c'est la famille dans laquelle ils puisent la chaleur qu'ils ne trouvent pas à l'extérieur, l'exemplarité des aînés, en s'appuyant sur un principe intangible : l'honneur qui les conduit à n'accepter aucune compromission et leur permet de garder la tête haute malgré la misère, les brimades. L'éducation pour les enfants mérite tous les sacrifices et ils seront nombreux.
Une part belle est faite à de magnifiques portraits de femmes dont la vie est scandée par une injonction qu'elles trouvent normale : "le destin d'une femme est de souffrir"; cette injonction ne sera remise en cause que par la dernière génération, en particulier celle qui a pu étudier aux Etats-Unis.
Cette fresque grandiose s'appuie sur
L Histoire, celle de la Corée, envahie et annexée, en 1910 par le Japon, l'exil des Coréens au Japon où ils ne seront jamais intégrés (on les appelle encore Zainichi, qui signifie "étranger résidant au Japon" alors qu'ils y sont nés et y vivent depuis des générations), la défaite du Japon à l'issue de la deuxième guerre mondiale avec son cortège de privations, de misère. Tout le roman évoque l'impossible intégration malgré tous les efforts de cette communauté qui respectait à la lettre les lois et les règles japonaises mais aussi l'impossible retour en Corée.
La culture coréenne et japonaise, que ce soit la cuisine, les traditions, les rapports familiaux telles qu'ils évoluent au fil des années, est passionnante à découvrir car elle est évoquée par une autrice d'origine coréenne, dont c'est l'ADN et non par un auteur étranger dont la perception, qu'elle soit admirative ou critique, peut être déformée par le prisme de sa propre culture (je pense, entre autres, à
Olivier Adam ou
Amélie Nothomb).
Nous découvrons, en particulier, ce qu'est le
pachinko, qui a donné son titre au roman, qui est associé à la communauté d'origine coréenne car c'était pratiquement le seul commerce qu'elle pouvait développer et qu'elle contrôlerait encore à 90%. Je regrette qu'aucun mot coréen ou japonais n'ait été expliqué en note en bas de page car on perd une partie de la compréhension.
J'ai été happée, emballée, enthousiasmée, émue par ce magnifique roman et j'ai même regretté, au bout des 500 pages, d'être obligée de dire adieu à la famille de Sunja. Ce roman me donne envie de continuer mon exploration de cette période historique en Corée et au Japon en lisant "
Filles de la mer" de
Mary Lynn Bracht sur le terrible destin des "femmes de réconfort".