Durant cette journée, il fit l’apprentissage assez humiliant de l’invisibilité et eut tout loisir de méditer sur les désavantages d’être un conseiller de l’ombre.
Les pensées des femmes sont des labyrinthes dans lesquels on se perd.
. L’état d’âme est un luxe de riche.
La taille ceinturée d’un tablier de cuir, Bartolomeo Guardi, s'empara de sa plus longue canne avant de la plonger dans la gueule incandescente du four. Fruit de l’expérience acquise auprès de son père qui l'avait entraîné dans l’atelier de verrerie alors qu’il n’avait pas dix ans, un seul coup d’œil lui avait suffit pour savoir qu’il était à la bonne température. Il commença à tourner doucement la canne, entre ses doigts pour cueillir dans le creuset une boule de verre en fusion, sous le regard attentif de ses aides. Un silence quasi-religieux, régnait dans l’atelier, où l’on entendait plus que le bourdonnement du feu.
Comme une déesse du silence, Calisto entra sur scène. L’air égarée, la poitrine palpitante, elle s’abandonna à l’attente amoureuse qui s’était emparée d’elle comme une terrible fièvre. François Guilbert reconnut Adèle Cantalli malgré le masque qui lui couvrait le haut du visage. Puis un chant de séduction s'éleva depuis les coulisses. Envoûtant. Qui aurait été capable de lui résister ? À l’entrée du castrat, un murmure d’adulation parcourut la salle. Le madrigal soutenu par les cordes commença. Persuasion. Assurance. Ruse d’un côté. Pudeur. Charmante dérobade de l’autre. Les voix s’égarèrent dans les arabesques de la passion. Elles ensorcelaient à tour de rôle.
Le Castello était un quartier tranquille à l’écart des grandes ruées de voyageurs et d’aventuriers de toutes espèces qui débarquaient dans la Sérénissime en quête de fortunes rapides ou d’aventures galantes. La réputation de certains lieux de grandes polissonneries, les attirait, comme la lumière attire les papillons de nuit. Dans ces endroits, tenus plus ou moins secrets, des femmes languissantes est parfumées à demi nues, faisaient promesse d’assouvir leurs sens dans le murmure, d'épopées amoureuses bien coûteuses. En choisissant ce quartier, François Guilbert n’avait fait qu'obéir à M. Courtin, un des hommes, de confiance de Jean-Baptiste, Colbert, qui lui avait recommandé la plus grande discrétion, en lui remettant la bourse contenant plusieurs centaines de livres pour ses frais de route et de séjour, ainsi que des lettres à vue nécessaires, à la réussite de sa mission.
Il remonta le col de son manteau de lourde laine afin d’affronter le vent qui venait de la mer. Celui-ci s’engouffrait dans les ruelles de Murano, avec des sifflements aigus et rageurs. En dépit du vent, il avait cru entendre un bruit de pas derrière lui. Comme si on le suivait. Quand il se retourna, il ne vit personne. Sans être rassuré pour autant, il marqua son inquiétude d’un froncement de sourcils. Il n’avait aucune raison de craindre les voleurs. Sa bourse ne contenait qu’un ou deux sequins, grandement insuffisants pour tenter le diable