AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,93

sur 35 notes
5
3 avis
4
5 avis
3
0 avis
2
0 avis
1
1 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Aux matinées fenêtres ouvertes, "Je tremble , ô matador, j'ai peur de voir ton sourire flotter le soir", fredonne la Folle d'en Face qui habite la petite maison aigrelette au coin de la rue. La rue se trouve dans un quartier populaire de Santiago du Chili, la Folle d'en Face est un travesti excentrique qui vit hors de son temps. La rencontre à l'épicerie avec Carlos, un beau macho qui lui demande de lui garder des caisses dans sa bicoque, va la faire trembler pour de bon......c'est parti. Nous sommes en septembre 1986, dans les journées noires de la dictature, le macho est un militant anti-Pinochet et les caisses contiennent des flingues.....
Parallèlement à ce récit, on suit un autre couple; Augusto Pinochet dans ses pensées secrètes, grotesque, affaibli, avachi sous les logorrhée rébarbatives de sa femme, une petite bourgeoise sotte, qui vit sous les ordres de Gonzalo, "son styliste " efféminé. Tandis qu'il fait des cauchemars mettant en scène sa propre mort, sa femme projette un voyage à Miami pour s'acheter des chaussures Versace en solde....
Alternant les deux récits, le rythme s'accélère jusqu'au dénouement final.

La prose est à l'image de la Folle, sensuelle, flamboyante, baroque, burlesque, mélancolique, à l'humour noir .....fleurie de poèmes....car Lemebel était avant tout un poète . Beaucoup de pudeur, aucune scène obscène ni de langage cru, bien que le sujet s'y prête fort.Et un sacré boulot de traduction, car le texte est bourré d'expressions et de mots du jargon de tantouse, dont on devine le sens mais introuvables sur le dico du net.


Dans le Chili de Pinochet où les homosexuels et les révolutionnaires appelés automatiquement communistes sont mis dans le même sac, une histoire d'amour originale et bouleversante.Entre rêve et réalité, des personnages terriblement attachants, qui frisent la caricature. Un texte partiellement autobiographique, basé sur un événement réel, relatant le profond clivage de la société chilienne entre pauvres et riches et les affres de la dictature. Fils d'un boulanger d'un quartier très pauvre de Santiago , Lemebel lui-même homosexuel en dira ,"No me hable del proletariado, porque ser pobre y maricón es peor » (Ne me parlez pas du prolétariat, parce qu'être pauvre et pédé est encore pire ). Un homme atypique aux multiples talents,mort en Janvier 2015, grand ami de Roberto Bolano et trés connu dans son pays et dans le monde littéraire hispanique et américain. C'est son seul livre traduit de l'espagnol.
Un livre qui me rappelle le cinéma d'Almodovar.....que j'adore.


Je tremble, ô matador,
j'ai peur de voir ton rire flotter,
dans l'air du soir !
Commenter  J’apprécie          6414
« Je tremble, ô matador ». Oui, elle tremble, la « Folle d'en Face », ce travesti transi d'amour pour le beau et viril Carlos. Elle tremble d'amour, mais personne ne la comprend, car « les larmes d'une folle solitaire comme elle ne verraient jamais le jour, ne seraient jamais des mondes humides épongés par les mouchoirs absorbants des pages littéraires. Les larmes des folles avaient toujours l'air fausses, des larmes de crocodile, des pleurs de clown, des larmes frisottées, accessoires de scène pour jouer une émotion loufoque. »
Et pourtant ! Quelle émotion, quelle pudeur et quels emportements ! Etre aimé de cette façon, qui n'en rêverait pas...

Pedro Lemebel a placé l'histoire d'amour du travesti dans le Chili de Pinochet, ce pantin moustachu affublé d'une femme pleurnicheuse. La ville de Santiago, « un cobra grisâtre rampant sur des visages ternis par la peur quotidienne de la dictature », ainsi que le somptueux « Cajón del Maipo » servent de cadre au Front patriotique Manuel Rodriguez, groupe clandestin armé, qui prépare un attentat pour le 8 septembre 1986, mais qui échouera de justesse.
Ce roman plein de poésie et de tendresse, mais aussi de folie érotique, évoque à coups de sous-entendus la préparation de l'attentat, grâce notamment à la complicité discrète et toute en falbalas de la Folle d'en Face. Grâce à son amour, aussi, qui pardonne tout, qui accepte et qui attend, sans toutefois se cacher sous une tonne d'illusions. Il/elle prête sa maison pour que Carlos aux yeux de braise et à la bouche tentante y entrepose des armes, sous couvert de caisses de livres d'université. Jamais la vérité n'est révélée, jamais le mot cru « attentat » n'est prononcé. Simplement le mot de passe inventé par la Folle, « Je tremble, ô matador », révèle son état d'esprit fiévreux à Carlos.

La folle combinaison d'un langage cru et truculent avec la poésie la plus pure m'a envoûtée.
Ah que j'aime ces phrases : « Elle l'incendia d'un regard de forêt obscure », « Quelque chose dans l'âme de chienne triste de la Folle d'en Face se fragilisait, l'incertitude la transformait en étamine de tulipe »...
La narration plonge donc dans le plus intime de la Folle, y mêlant également des dialogues savoureux avec, en contrepoint grotesque, les cauchemars délirants de Pinochet et les monologues superficiels de sa femme (« Ce que les gens sont peu imaginatifs en matière de cadeaux. Les commandants et leurs épouses qui s'obstinent à t'offrir des livres. Franchement ! Comme si tu lisais ces collections d'histoire et de littérature toutes reliées et pleines de dorures. Cela dit c'est pas du toc, et puis ça donne un cachet intellectuel à la pièce, sans compter que ça va bien avec les cadres dorés des tableaux »).

La traduction en français de « Tengo miedo, matador » a été pour moi une lecture jouissive, pleine de sensualité et de lucidité, de poésie et d'exactitude historique.
Pourquoi pas lire la version espagnole, un jour ?
Commenter  J’apprécie          359
"Quelle élégance ! soupira le garçon, admiratif. Avec trois fois rien vous bâtissez un royaume, princesse."

Vous l'avez vue ? Non ? Mais si… La Folle d'en face. Celle qui parle toujours si agréablement, nous dit un mot gentil en passant. Elle a rudement bien organisé son petit intérieur. D'une vieille baraque, elle en a fait avec deux étoffes et un brin d'imagination un palais rutilant. D'ailleurs, ils ne s'y sont pas trompés les petits jeunes, ils ont investi les lieux. Ah ces jeunes, toujours en train d'inventer des complots, des révoltes, des révolutions. Faut dire qu'avec Pinocchio, les jours des jeunes sont bien courts. Tout l'inverse d'un nez, et les menteurs au pouvoir. Alors ces jeunes, ils la voudraient la démocratie. Et cette Folle qui les accueille. Faut dire que son Carlos, il est bien mignon. Si j'avais encore l'âge… ce ne serait pas de refus. Mais nous les petites vieilles, à part les commérages, qu'est-ce qui nous reste ? L'autre jour la Folle et son Carlos sont partis en voiture faire un grand tour. Je me demande dans quel coin du Chili ils sont allés. C'est vrai que nous les Chiliens on ne le connait pas bien notre pays. Dans la misère, on ne voyage pas. Alors eux deux, ils les bousculent les contraintes. Chacun dans son genre, ils vous bousculent et parfois ils se bousculent. Lui il est persuadé que cette grande Folle ne comprend rien à leur bidouillage. Moi je sais qu'elle n'est pas dupe. Elle a une sensibilité et une âme de poète. Que j'aime quand elle se promène avec son grand chapeau jaune et ses lunettes de star holywoodienne. Ah ça en jette dans notre dictature. Tiens, Picocchio, il l'a bien mérité sa mémère qui bavasse tout le temps. Elle doit lui casser les oreilles entre deux coups de canons. Ah mais pourquoi je parle de celui-là. C'est la Folle qui me plait. Elle a des mots qui vous enchantent et celui qui lui donne la parole est un merveilleux Matador, j'en tremble encore de certaines ce ses phrases. Alors je voulais remercier Bookycooky pour ce merveilleux voyage qu'elle m'a permis de faire. "Peut-être la pornographie de ce récit l'avait-elle troublée au point de lui faner le verbe aimer."

"Ma Folle inévitable, ma Folle inoubliable."
Commenter  J’apprécie          302

Autres livres de Pedro Lemebel (2) Voir plus

Lecteurs (103) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Amants de la Littérature

Grâce à Shakespeare, ils sont certainement les plus célèbres, les plus appréciés et les plus ancrés dans les mémoires depuis des siècles...

Hercule Poirot & Miss Marple
Pyrame & Thisbé
Roméo & Juliette
Sherlock Holmes & John Watson

10 questions
5275 lecteurs ont répondu
Thèmes : amants , amour , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}