Ce tome fait suite à
Sweet Tooth Vol. 1: Out of the Deep Woods (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 6 à 11, initialement parus en 2010, écrits, dessinés et encrés par
Jeff Lemire, avec une mise en couleurs réalisée par
José Villarrubia. Ces épisodes ont été réédités dans
Sweet Tooth Book One qui contient les épisodes 1 à 12.
Tommy Jepperd repense à sa jeunesse : il a toujours été bon pour se battre. Il y a des années de cela, il était un joueur de hockey sur glace, sur le retour. Il refusait de se laisser impressionner sur le terrain, et n'hésitait pas à en venir aux poings avec ses adversaires qui le cherchaient trop, quitte à leur casser la figure et à se faire expulser du terrain. C'est ce qui lui arrive ce jour, et il sort pour aller seul aux vestiaires, sous les insultes de plusieurs spectateurs. Au temps présent, il avance sur son cheval, avec un grand sac boudin orange en travers de ses genoux. Il sait toujours balancer des coups de poing, des coups de pied, mordre même, tout pour survivre. Mais à quoi bon dans un monde qui s'est vidé de ses habitants. Il s'éloigne de la réserve où il a laissé Gus. D'ailleurs deux gardes pénètrent dans la pièce où il se trouve agenouillé, avec un sac sur la tête. Puis c'est au tour d'Abbot d'entrer : il lui enlève le sac, et lui ordonne de se lever. Les gardes l'emmènent dans la grange. Il est poussé et enfermé dans une pièce où se trouvent cinq autres enfants avec une tête d'animal. Jepperd s'est arrêté, a posé son gros sac à terre, et prend de l'eau dans la rivière avec une tasse. Il se souvient de son retour chez lui après le match, avec les commentaires désobligeants à la radio, sur sa carrière de perdant.
Jepperd entre dans son pavillon et salue sa femme Louise qui est sur le canapé en train de regarder la télévision. Elle lui demande de se taire et de regarder. Les informations parlent d'une épidémie et montre des images de malades purulents, aidés par du personnel soignant en combinaison de protection intégrale. Tommy promet à son épouse de la protéger. Dans la grange, Gus essaye d'entamer la conversation avec les autres enfants en se présentant. Seul le garçon à tête de castor répond par des phrases rudimentaires de 4 ou 5 mots maximum. Finalement, Wendy, la fille avec une tête de cochon, lui répond de manière normale, en lui expliquant que les autres sont attardés. Elle se moque de la naïveté de Gus en lui disant que la réserve n'existe pas et qu'ils sont enfermés dans le camp d'une milice. Elle ajoute que les gardes viennent régulièrement pour emmener un ou deux enfants qui ne reviennent jamais. Jepperd a repris la route à cheval, et il voit une voiture qui a versé dans le fossé. Une valise en a été éjectée et une robe rose en dépasse. Cela le renvoie à ses souvenirs, avec le départ du pavillon : ce jour-là sa femme portait un teeshirt rose.
Jeff Lemire avait été vite en besogne ans le premier tome : épidémie ayant décimé la population mondiale, existence d'enfant nés avec des caractéristiques physiques animales, et 2 personnages principaux. Pour partie, le lecteur retrouve cette même caractéristique dans ce deuxième tome. Pour commencer, il se lit aussi rapidement que le premier. Il ne s'agit pas d'une narration décompressée, mais les caractéristiques de la narration rendent la lecture de chaque page, de chaque séquence plus rapide qu'un comics traditionnel. L'artiste dessine toujours en donnant l'impression de réaliser des esquisses plus que des dessins terminés après avoir été peaufinés et repassés à l'encre d'un trait assuré. Cette apparence brut de décoffrage ou croquée sur le vif fait sens dans un monde post apocalyptique où la survie prime sur tout, à commencer par la coupe de cheveux et la tenue bien assortie. Néanmoins de temps à autre, même le lecteur habitué à l'apparence fruste des dessins de Lemire peut tiquer. Soit, le mélange de gènes chez les enfants justifie leurs difformités et que leur morphologie puisse s'écarter de la normale : les grands yeux de Gus, ses grands pieds, l'implantation capillaire de Wendy. En revanche, il est peu difficile de croire que le sac qui recouvre la tête de Gus est assez grand pour ses bois, ou que les gènes de castor ou de truie aient été autant dénaturés pour aboutir au visage des 2 enfants correspondants.
De temps à autre, le lecteur relève des approximations similaires pour des êtres humains normaux : la largeur d'épaules fluctuante de Jepperd, les épaules tombantes d'Abbot, les avant-bras de Jepperd plus gros que ses biceps, etc. de temps à autre, il se contente d'alterner des plans poitrine ou des gros plans entre deux interlocuteurs, ce qui met en avant son approche très personnelle pour la représentation des émotions sur les visages, parfois convaincante, d'autres fois plus mécanique sans rien révéler de l'état d'esprit du personnage. Il en va un peu autrement des environnements. Il utilise bien sûr la même façon de dessiner pour les représenter avec des traits irréguliers parfois discontinus. Pour autant l'impression n'est pas la même. Ils semblent plus consistants pour le lecteur, plus concrets. Vraisemblablement l'artiste dessine des types de lieu dont il est familier : la patinoire de hockey, les zones rurales dégagées et peu habitées, les grands espaces, les forêts et la route. le lecteur éprouve la sensation que ces environnements sont plausibles, indépendamment du degré d'assurance des traits tracés, du degré de précision, parce que les éléments représentés sont concrets et pertinents.
Sous réserve de s'être adapté à la forte personnalité graphique de la narration, le lecteur se retrouve tout autant impliqué par les personnages que dans le tome 1, souhaitant découvrir ce qui va leur arriver. Gus est toujours aussi touchant par sa vulnérabilité, et sa désorientation, tiraillé entre les principes que lui a inculqués son père, et par ceux totalement différents, voire opposés, des adultes auxquels il est confronté. Il reste un objet de convoitise pour Abbot et sa milice et il est placé entre les mains d'un médecin qui doit l'examiner. C'est l'occasion d'ne apprendre plus sur le personnage, au cours d'une séance d'hypnose toute en tension. le lecteur continue également de se familiariser avec Gus en observant ses interactions avec les autres enfants, surtout Wendy. le scénariste joue admirablement avec l'impression que Gus est une victime sans défense, et avec le déroulement des événements où le pire n'est jamais certain. le lecteur a le coeur serré en voyant que le médecin Singh a accroché une étiquette à l'oreille gauche de Gus comme s'il n'était que du bétail, mais dans le même temps il voit l'enfant se confronter à une peur après l'autre avec un courage impressionnant. En parallèle, le lecteur découvre l'histoire personnelle de Tommy Jepperd : sa carrière de joueur professionnel de hockey sur glace, sa relation avec son épouse, et son caractère. L'auteur lui une donne une réelle profondeur : le lecteur ne sait plus trop ce qu'il ressent pour cet homme, entre dégout pour ce qu'il a fait à Gus, et une forte empathie pour un homme qui fait de son mieux, en étant conscient de ses limites. Il devient un personnage dramatique, plus encore que Gus, parce qu'il a vécu plus longtemps que lui.
Au premier niveau, Gus et Jepperd sont les personnages principaux d'une histoire particulièrement simple : une épidémie a tué la majeure partie de la population humaine, et les corps ou l'histoire de Gus détiennent peut-être des indices pour savoir comment enrayer ladite épidémie. À la lecture, il apparaît plusieurs moments étonnants soit sur le plan visuel, soit en termes d'intrigues. La bagarre sur le terrain de Hockey s'avère particulièrement brutale. Il est impossible de rester impassible devant ce dessin où Jepperd tient une robe rose dans ses grosses mains, ou en découvrant l'étiquette à l'oreille de Gus, en retrouvant une scène onirique avec le lapin et le faon (tels Panpan et Bambi), ou encore dans cette mise en page très réussie quand Gus et Singh se déplace sur les bois de Gus pendant la séance d'hypnose (une belle trouvaille visuelle). En outre, le lecteur a bien compris que Gus finira par être réuni avec Jepperd, mais il ne voit pas ce qui motivera ce dernier car il n'a rien d'un héros au coeur pur, avec l'altruisme chevillé au corps. du coup, il suit avec curiosité le parcours de Jepperd. Finalement, même si l'intrigue principale sur l'épidémie n'est pas si intrigante que ça, les personnages rendent l'histoire touchante.
Sans même s'en rendre compte, le lecteur se retrouve attaché à cette série étrange. Il ne se formalise plus de l'apparence esquissée et parfois mal assurée des dessins, leur trouvant un charme certain, convenant bien à ce monde ravagé par la maladie où les individus sont plus bruts, n'ayant plus de temps à consacrer à s'apprêter. Il revient avec plaisir et inquiétude dans cette région du monde, avec des paysages naturels, et quelques villes désertées et déjà à moitié détruites. Il s'inquiète pour le pauvre Gus, hésitant entre le fait qu'il ne lui arrivera rien de grave parce que c'est le personnage principal et ce serait trop cruel, et entre les séquelles que vont laisser ces événements et le comportement des adultes sur son jeune esprit. Il juge rapidement Jepperd comme étant une grosse brute épaisse, et finit ce tome en s'inquiétant tout autant pour lui, compatissant à sa douleur à son malheur.